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TRIBUNE DU VENDREDI N°122 : L’Exil de Seydina Issa Rohoulahi à Ngâkham auprès du gardien de Beyti Ma’mour

today11 août 2023 168

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L’Exil de Seydina Issa Rohoulahi à Ngâkham auprès du gardien de Beyti Ma’mour

Ce samedi 12 août 2023, la communauté Ahloulahi sous la direction du « Général » Baye Ndjine Thiaw Lahi effectuera un pèlerinage à Beyti Ma’mour à Ngâkham, dans la région de Thiès. Cela nous encourage à revisiter l’histoire de l’exil que Seydina Issa Rohoulahi (as) y fit en 1906 auprès du maitre des lieux, l’ange gardien de Beyti Ma’mour, Serigne Mamour Diakhaté.

En effet, à la suite d’une petite divergence de vue, le saint-maitre Seydina Limamou Lahi (asws) intima l’ordre à son fils Seydina Issa Rohoulahi (as) de quitter Yoff sans délai. Le commun des mortels y voyait une sorte de sanction du père envers son fils. Mais ce qu’ils ignoraient est que la réalité sous-jacente à une telle décision est bien plus grande qu’une simple sanction.

Seydina Limamou Lahi (asws) a déclaré être l’imam de la Fin des Temps Al Mahdi Al Mountazar dont les écrits anciens prédisaient qu’il serait remplacé au califat de l’Islam par le messie Insa Ibn Maryam revenu dans une seconde mission pour assurer son vicariat. Or, quand les dignitaires lébous sont venus, en septembre 1887, pour tenter une médiation entre Seydina Limamou Lahi et l’autorité coloniale en lui suggérant de mettre fin à son « dahwa », le saint-maitre avait alors désigné son futur successeur en la personne de son fils ainé qui porte les prénoms Insâ Rûhu Lâhi. « Si la mission qui m’a été confiée n’était pas complètement remplie au moment de mon rappel à Dieu, c’est ce jeune que voici [en désignant Seydina Issa qu’il avait alors posé sur son épaule] qui la mènerait à terme », leur déclara Seydina Limamou Lahi. À l’époque, ce successeur désigné avait à peine 9 ans.

Quand, quelques années plus tard, Seydina Issa eut l’âge de 30 ans, il commença à se passer plusieurs choses entre lui et son père. On aurait même dit qu’ils ne pouvaient plus évoluer ensemble dans un même environnement. Finalement, une succession de concours de circonstances avait fini par obliger le saint-maitre à l’éloigner temporairement de lui. Nous étions en 1906 ou 1907. Et, contrairement au commun des mortel qui y voyait une sanction, les initiés comprenaient que la cause qui a motivé une telle séparation était le fait que Seydina Issa s’approchait de l’âge de la maturation spirituelle (33 ans) qui équivaut au même âge auquel Jésus Christ effectuait son Ascension pour retourner auprès du Créateur Tout-Puissant. Cela signifie qu’il se rapprochait du début de sa mission en tant que vicaire et continuateur de la mission de l’Imam Al Mahdi, son père.

Leurs deux lumières de dimension prophétique ne pouvaient plus cohabiter sur un même espace, au risque d’entrainer l’irréparable. La divergence de point de vue ayant entrainé la séparation entre le père et le fils n’était donc qu’un prétexte apparent [zâhir] aux yeux de ceux qui ne poussèrent pas loin la réflexion. Mais la vraie raison était noyée dans le caché (« bâtin »), accessible qu’aux initiés. Cette séparation temporaire devait permettre au fils de vivre l’épreuve de l’exil en allant affuter ses armes loin de sa terre natale, loin des siens, loin du cocon familial. Cette épreuve lui permettait de consolider sa foi, renforcer son endurance, sa force mentale, sa détermination, d’acquérir le leadership et gagner en sagesse.

Quoi qu’il en soit, Seydina Issa accompagné de quelques fidèles amis, respecta la décision de son illustre père en quittant son domicile, en quittant Yoff-même.

Son exil le mena d’abord chez Youssou Bamar Gueye, un disciple de son père, à Dakar-ville. Quand son père le sut, il mandata un disciple pour aller demander à Mame Ablaye de le renvoyer de chez lui. Seydina Issa poursuivit son chemin en allant successivement chez d’autres disciples de son père. Mais à chaque fois, ce dernier demandant qu’il fût renvoyé par ses hôtes successifs. Seydina Issa continua son chemin vers l’intérieur du pays jusqu’à arriver à Pout chez le vieux Mor Wade, un disciple de son père. Le vieux Mor Wade était un grand waliy de l’époque. Quand il reçut le fils de son guide, le vieux Mor Wade lui demanda de venir s’asseoir sur ses jambes. Mais Seydina Issa hésita. Alors Mor Wade qui avait les jambes très minces lui fit : « Tu as pitié de ton père [lui-même Mor Wade] à cause de mes frêles jambes ? Rassure-toi ! ces jambes peuvent bien supporter ton poids ». Quand Seydina Issa s’est assis enfin sur ces jambes de paralytique, Mame Mor Wade d’un seul mouvement le fit décoller au plafond. Là, Mame Mor Wade lui annonça : « Tu es encore très léger, mais tu gagneras le poids [spirituel] que tu recherches au cours de ton exil ». C’était une façon pour le vieux waliy d’évaluer la dimension spirituelle de ce fils ainé et futur successeur du saint-maitre. Il pria pour lui et le laissa poursuivre sa quête.

Quand Seydina Issa arriva aux alentours de Tivaouane, il demanda le nom du lieu, on lui répondit que c’était le fief de Cheikh Seydi Al Hadji Malick Sy. Il ne voulut pas poursuivre son chemin sans, d’abord, aller saluer le saint homme. C’est de là que Seydina Issa et ses compagnons d’exil Aliou Wane, Libasse Mboup et Libasse Dione gagnèrent le village de Ngâkham dans le Kajoor.

Dans ce village vivait un grand saint qui était aussi disciple de son père du nom de Serigne Mamour Diakhaté. C’est ce représentant de son père dans cette partie du Kajoor qui l’hébergea volontiers chez lui. Les jours passèrent sans que son père n’envoyât d’émissaire pour demander qu’il soit encore renvoyé de Ngakham. C’est à partir de là qu’il comprit qu’il avait atteint sa terre d’exil. C’était donc comme si, il fallait qu’il eût une certaine distance réglementaire entre son lieu de résidence et celui de son père. Au cours de ce séjour qui allait durer 3 ans à Ngâkham, Seydina Issa Rohoulahi prit sa première épouse Sokhna Khady Dia avec qui il eut sa fille ainée Sokhna Amânatou Lahi. Durant tout ce séjour, Seydina Issa se livrait aux travaux champêtres et à la lecture du Coran. Il récitait aussi beaucoup la formule du tawhiid « lâ Ilâha illâ Allah » à telle enseigne qu’il lui arrivait de cracher du sang à force de la répéter.

Quelques années plutôt, avant son exil, Seydina Limamou avait déjà présenté Serigne Mamour à Seydina Issa en scellant lui-même leur amitié. Il (asws) lui disait alors « Issa ma Ndaw sa gana ngi » (Issa, voici ton hôte). Quand Seydina Limamou Lahi (asws) a atteint l’âge de 63 ans (âge qu’avait le prophète Mouhamad au moment de son rappel à Dieu), Allah lui a montré un songe qu’il interpréta comme une annonce de la fin de sa vie terrestre. D’ailleurs, la faculté d’interpréter les rêves est un des premiers dons qu’Allah attribue à Ses Messagers. Dans le songe en question, le meilleur des Ahloulahi avait vu un grand caïlcédrat se déraciner et se renverser sur le pays du Couchant. Or, son fils ainé Seydina Issa qui devait lui succéder n’avait encore que 30 années à cette époque alors que les livres anciens avaient prédit qu’en accédant au califat de l’Imam Al Mahdi il aurait le même âge de 33 ans qu’avait Jésus fils de Marie au moment de son ascension. C’est pourquoi Seydina Limamou Lahi (asws) dit appeler Serigne Mamour. Quand celui-ci est venu lui répondre, il lui expliqua la situation et lui donna son chapelet dont les perles étaient faites à partir de noyaux de dattes (« Kurusu Taandarma »). Il le chargea de prier Allah de lui accorder trois ans supplémentaires le temps que Seydina Issa atteignît la maturation spirituelle et l’âge 33 ans comme prédit. Toutefois, quand Serigne Mamour prononça « Bismilâhi Barké Njiin », le saint-maitre l’avait interrompu avant même qu’il ne formulât sa prière en lui annonçant qu’Allah avait déjà accédé à sa requête.

Quelques trois ans plus tard, dans la nuit du jeudi 13 vendredi 14 shawwal 1327 de l’hégire (vendredi 29 Octobre 1909), le saint-maitre Seydina Limamou Lahi s’éteignit à Yoff à l’âge de 66 ans. Cette même nuit, peu avant l’aube, Seydina Issa demanda à son compagnons Libasse Mboup de lui raser complètement la tête. Quand celui-ci avait fini la tâche, Seydina Issa lui a dit : « Garde ces cheveux car ils sont très précieux ». C’était une façon de sous-entendre qu’à partir de ce moment plus personne ne verrait plus jamais ses cheveux car il venait de succéder à son défunt père en tant que Khalif des Ahloulahi. Or, dès qu’ils accèdent au califat, plus personne ne reverra plus jamais les cheveux des Khalifs du saint-maitre leur vivant à cause des turbans noir et blanc qu’ils portent quasiment à permanence. À partir de là, Seydi Rohoulahi mit sur sa tête un turban blanc et se garda d’informer quiconque du rappel à Dieu de son illustre père. Il alla à la mosquée pour la prière du matin. À l’époque, c’est son hôte Serigne Mamour Diakhaté qui dirigeait toutes les prières à la mosquée en tant que Mouhaddam du saint-maitre dans ces contrées du Kajoor. Or, ce matin-là, Seydina Issa précéda Serigne Mamour à la mosquée. Et après la séance de zikroullah avant prière, comme il est de coutume dans la communauté Ahloulahi, l’imam Serigne Mamour, s’est levé pour aller diriger l’office, suivi du reste des fidèles présents. Mais Seydina Issa, d’un pas assuré le devança sans hésiter et se plaça à la place de l’imam. Serigne Mamour comprit à partir de là qu’il s’était passé quelque chose ; il recula et se plaça derrière lui en prononçant l’Iqâmah.

La réaction de Seydina Issa trouve son explication dans le fait qu’à partir du moment où le saint-maitre, « L’imam de tous les Imams, Imam des Lieux saints (la Mecque et Médine) » venait de quitter ce monde et que lui, son fils ainé, venait de lui succéder à ce rang plus personne de cette époque ne pouvait plus diriger sa prière. C’est cela que Serigne Mamour avait compris et qui l’encouragea à le laisser remplir sa mission d’imam successeur de l’Imam de la Fin des Temps. Après la prière, Seydina Issa s’était évanoui et tout le monde quitta la mosquée en l’y laissant. C’est par la suite qu’arriva l’émissaire Massaer envoyé pour annoncer à Seydina Issa le décès de son père. Toutefois, en présence de Seydina Issa l’émissaire se limita à lui dire : « On m’a envoyé pour t’informer que ton père est très malade et que si tu veux le revoir [en vie] tu devrais rentrer vite ». Seydina Issa lui répondit alors : « tu n’es pas un fidèle émissaire dans la mesure où tu n’as pas délivré tel quel le message qui t’a été transmis ». Alors Massaer ne put que se résoudre à lui annoncer la nouvelle : « En vérité, ton père est décédé ». Comme toute réponse, Seydina Issa lui a dit : « Rentre à Yoff, annonce mon retour et que personne n’enterre mon père avant mon arrivée ». La question qui doit nous interpeler à cette étape de l’histoire est de savoir comment Seydina Issa a su le rappel à Dieu de son illustre père avant l’arrivée de l’émissaire venu de Yoff. La veille, Seydina Issa a vu l’image du soleil qui immergeait dans sa tête. C’est ce que El Hadj Mamadou Sakhir écrivait dans son poème :

Ruu ga mo def jantu njolloor suux sa Isaa Rohulaay

Seydina Issa s’apprêta à rentrer à Yoff pour diriger la « salâtu janâzah » et organiser les funérailles de son père. Accompagné de Serigne Mamour, Libasse Dione, Aliou Wane, Libasse Mboup, Yoro Ndella (qui les a rejoints à Rufisque), Seydina Issa arriva le dimanche 31 octobre 1909 à la gare de Yarakh qui était la 7ème gare depuis celle de Tivaouane. À sa descente du train, il aperçut Baye Mâli Mbaye qui a été dépêché par son jeune frère Seydina Mandione pour l’attendre à la gare et lui porter le cheval dénommé Mânatou. Il l’interrogea pour avoir une mise à jour de l’évolution de la situation : « où est mon père…l’a-t-on déjà enterré ? ». Baye Mâli Mbaye lui répondit par la négative. Seydina Issa lui demanda alors ce que disaient les gens. Il lui répondit que les notables de la communauté proposent qu’avec ta permission, le saint-maitre soit enterré à Cambérène comme ses parents yoffois avaient rejeté sa mission. « Non ! avait répondu Seydina Issa, on enterre toujours un prophète à l’endroit où il est mort. C’est la chance des habitants de ces lieux. Or, mon père est un Messager de Dieu, et moi aussi Issa je suis un Messager de Dieu ».

À sa descente du train, Seydina Issa trouva une foule de personnes rassemblées autour de la gare tous habillés en blanc entrain de sonner les cloches et chanter des formules liturgiques. Face à ce spectacle, Seydina Issa avait interrogé Baye Mâli Mbaye : « Qui sont ces gens ? et que font-ils ici ? » Il lui répondit que c’était des fidèles chrétiens et leurs prêtres qui s’étaient rassemblés là pour assister, disaient-il, au retour de Jésus Christ (Insâ Ibn Maryam) qui devait revenir sur terre en ce même jour. Seydina Issa lui dit alors : « Partons d’ici rapidement, puisque nous portons le même nom ». C’était pour éviter que les prêtres, sœurs et leurs disciples ne le reconnaissent. Leurs textes sacrés qu’ils citaient, prédisaient qu’au cours de sa parousie, le fils de Marie devait descendre du 7ème ciel assis sur un âne possédant un seul œil. Or, entre Tivaouane où Seydina Issa a pris le train et Yarakh sa destination, il y a 7 gares en tout (par allusion aux 7 cieux annoncés par la prophétie chrétienne). Il s’y ajoute que la locomotive des trains à vapeur utilisés à l’époque poussait les mêmes cris que le braiement des ânes. Enfin, la locomotive comporte un seul phare pour éclairer son chemin ; ce qui renvoie donc à l’âne possédant un seul œil.

Seydina Issa arriva à Yoff au crépuscule. Le lendemain matin, lundi 1er novembre 1909 (17 shawwal 1327), il dirigea la prière mortuaire de son père et lui succéder en tant que premier Khalif des Ahloulahi. Pendant tout son califat, Serigne Mamour s’employa depuis Ngâkham à l’assister en continuant la mission qui lui a été confiée. Il offrait le wird aux nouveaux adhérents à la communauté Ahloulahi et dispensa la doctrine Ahloulahi sur ces terres du Kajoor. Quand Seydina Mandione accéda au califat, il l’accompagna dans sa mission, jusqu’au rappel à Dieu de celui-ci en 1971. Serigne Mamour alors âgé de 106 ans quitta Ngâkham pour venir présenter ses condoléances au nouveau Khalif Baye Seydi Thiaw Lahi fils de Seydina Mandione et renouveler son allégeance auprès de lui en même temps. Il annonça au nouveau Khalif qui était le premier des petits-fils à accéder à cette position : « Le saint-maitre, ton grand-père, m’avait chargé de veiller sur ses fils, tes pères, mais il ne m’avait pas confié ses petits-fils. Comme ton père Seydina Mandione était son dernier fils vivant, ma mission vient d’être accomplie. » Il venait alors par ces propos, de lui annoncer son futur rappel à Dieu.

Quelque temps seulement après son retour à Ngâkham, en 1971, Serigne Mamour quitta ce monde. Serigne Ablaye dirigea sa prière mortuaire. Pour mieux impliquer les fidèles de Ngâkham dans les activités de la communauté Ahloulahi et perpétuer l’œuvre de Serigne Mamour, Serigne Ablaye avait pris l’initiative d’organiser chaque année des chants religieux à Beyti Ma’mour. Cela attira beaucoup l’attention sur la terre où repose ce grand homme de Dieu que fut Serigne Mamour tout en contribuant à accélérer son développement au fil des années.

Excellent pèlerinage à tous les fidèles. Puisse Allah vous accompagner et accepter vos ziarra par la grâce de notre maître, « Yaakaari Jaam Ñi », Seydina Limamou Lahi Al Moukhtâr Wa Seydil Anlamîna.

Par Chérif Alassane Lahi Diop “Sibt Sâhibou Zamâne”,
Analyste politique et économique,
Expert en Commerce et Management des Affaires Internationales,
Secrétaire Général de Vision 129.

Écrit par: soodaan3

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