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EXTRAIT DE «L’HISTOIRE DES LAYENES 1839 – 1949» D’IBRAHIMA ABOU SAMB

today30 janvier 2023 263 3

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3 ans, 3 jours, 3 mois…

[…..] «Troupes parties ce matin 3 heures : vient d’être informé Limamou Thiaw parti vers 11 heures nuit avec femmes et enfants et une vingtaine d’hommes par chemin bord mer. Ai télégraphié aux chefs de canton Rufisque, Commandant de cercle de Thiès, chef poste de Thiès.»

Leur nombre était tellement important qu’ils ressemblaient à un essaim de sauterelles allant à la recherche de la meilleure des créatures, sous la contrainte. On battait des tam-tams et des tambours comme s’il s’agissait de fêter un mariage.

Le Délégué de l’intérieur Cléret ( successeur de Baginski) décrit dans son rapport du 19 septembre1887, l’importance de cette expédition militaire. Il écrit en effet : « Monsieur Bert formait une véritable colonne composée de cavalerie et d’artillerie. Je fournissais 40 porteurs pour les bagages ».

Forte déception pour ces soldats qui étaient prêts à tout détruire, car ils ne trouvèrent sur les lieux, ni Seydina Limamou, ni ses disciples. Alors qu’ils comptaient sur l’effet de surprise. Ignoraient-ils que Seydina Limamou Lahi (psl) est le plus informé des créatures?

Au quatrième jour de l’exil, vers midi, un jour de mercredi, ils étaient plongés dans l’embarras, n’ayant aucune nouvelle de Limamou, qui pourtant n’était pas loin d’eux. Limamou sachant combien ils étaient fatigués, envoya vers eux l’un de ses compagnons : « Va leur dire que je suis ici, dis-leur de venir à moi ».

Lorsqu’ils vinrent à lui, ils étaient si nombreux qu’ils ressemblaient à des sauterelles. Une voix dans la foule cria : «Tuez-le à la façon des nomades et qu’on en fisse (52) ; deux autres voix rétorquèrent : « Ne le tuez pas vous n’avez aucun droit sur lui ». (53)

Il s’agissait de Gedj Seck et Gorgui Diop, qui vouaient secrètement une sympathie pour lui. Limamou prit alors la parole; « Qui est ce qui demande qu’on me tue? ». On murmura que c’est Serigne Tengeth (autorité coutumière à Rufisque).

« Tu n’es point Ibrahima Seck, Serigne Tengeth; tu es plutôt Satan le maudit, que j’avais combattu et vaincu hier à la Mecque, Ibrahima Seck est là-bas à Rufisque, il est malade des dents, il porte un foulard sur sa tête ». Quand les gens se retournèrent, ils ne virent plus celui qui était avec eux et qui parlait sous l’apparence d’Ibrahima Seck.

Limamou leur déclara : « Je suis à votre disposition. Faites de moi ce que vous voulez ». Ils répondirent : « Nous jurons par Dieu que nous ne pouvons rien contre toi. Nous t’avons cherché sous la contrainte, par manque de possibilité de résister aux français et par crainte (des représailles) de ces derniers; mais ce n’est pas de notre propre gré, car toi tu es notre Saint Maître, tu es notre chef ». Le chef de ce groupe composé d’individus habitant à Dakar, dont le nom est Birama Wélé déclara s’adressant à ses compagnons : « Vous, mes amis, sachez que la mère de Limamou est meilleure que la nôtre ». Limamou lui répondit : «Toi, en tout cas ma mère est meilleure que la tienne, car mon père avait d’abord épousé ta mère, si cette dernière était comme la mienne, elle ne se serait pas séparée de mon père ».

Par cette réponse, Limamou montra son courage en voulant leur faire comprendre qu’il n’avait pas peur d’eux. Il ajouta : « Si je ne tenais pas compte des « chapelets » (54) que vous portez autour du cou, vous ne recommenceriez plus jamais ce que vous avez fait aujourd’hui ».

Les trois jours passés en exil étaient ceux qu’il avait annoncés dans la formule : « trois ans, trois jours, trois mois ».

Alors que ceux qui venaient de l’arrêter le conduisaient à Dakar, l’heure de la prière du début de l’après-midi (tisbar) les trouva en chemin vers Yarakh (Hann); ils furent curieux de voir Limamou faire ses ablutions, pensant qu’ils allaient avoir l’occasion de voir ses cheveux. Ils avaient appris, en effet que nul ne pouvait voir les cheveux de Limamou, toujours cachés par ses deux turbans (55) Pour certains, son pouvoir lui venait de quelque chose qui était en dessous.

L’occasion de la prière de tisbar était bonne pour enfin satisfaire leur curiosité. Limamou se mit à faire ses ablutions, sous le regard curieux de cette foule .Mais au moment où il devait toucher sa tête, une antilope fit irruption au milieu de la foule. D’aucuns même disent que pour mieux attirer l’attention sur elle, l’antilope boitait comme une proie facile à prendre. Et les lébous de la foule qui étaient friands de viande, préférèrent aller à sa poursuite plutôt que de rester.

Ils dirent : «hé ki lab kewël, kewël gala sôkh, diappa leen way»! (Hé ça c’est une antilope, une antilope qui boite en plus, attrapons la).

A leur retour, ils n’avaient non seulement pas attrapé l’antilope, mais Seydina Limamou (PSL) avait déjà terminé ses ablutions. Ils dirent : «Il nous a encore ensorcelés» (njibara ti na nu). C’était là, un des miracles qu’il réalisa par la puissance de Dieu. Il restait à faire la prière ensemble. Limamou leur déclara : « C’est vous qui devez diriger la prière, moi je ne suis que votre prisonnier, vous êtes mes maîtres ». Ils lui répondirent : « Que Dieu nous préserve de la prétention de nous placer devant toi pour diriger une prière, c’est plutôt toi qui es notre maître ». Limamou présida cette prière puis leur déclara : «Allons maintenant vers les Blancs que vous croyez capables d’anéantir mon appel au service de Dieu ». Ils se rendirent donc avec lui auprès des autorités françaises.

Ces jours-là, les détracteurs et les hypocrites furent heureux. Ils pensaient que Limamou ne reviendrait plus chez lui. Celui qui nourrissait contre Limamou la haine la plus farouche, à cette époque, le nommé Moussé Yesse Diagne, était très content.

Bien avant cet événement, il avait l’habitude d’adresser des menaces à Limamou. Le commissaire de police de Rufisque, M. Belval s’empressa d’adresser un télégramme à Cleret et au juge Gilbert Desvallons : « Arrive des dunes Thiaroye où apprends que Limamou, sa femme, Abdoulaye Diallo et Demba ont été arrêtés par des gens de Dakar et Rufisque. Sont en route pour Dakar depuis 4 heures… »

Cleret transmit aussitôt la nouvelle à Quintrie qui répondit par télégramme: « Mettez immédiatement Limamou à la disposition du juge d’instruction ». Ils arrivèrent au Tribunal de Dakar (actuelle Chambre de Commerce de Dakar) vers 17h.

Arrivés sur les lieux, les soldats et les dignitaires lébous devaient attendre l’arrivée du juge pour qu’il donne sa décision sur celui qu’on accusait détenir des armes pour combattre l’administration coloniale.

Avant son entrée dans la salle, quelqu’un souffla au Saint Maitre d’enlever son turban car personne n’avait le droit de porter ne serait-ce qu’un chapeau devant lui. Seydina Limamou dont personne n’avait plus vu ses cheveux depuis qu’il a lancé son appel à cause des deux turbans qu’il portait lui répondit qu’il les enlèverait si Dieu le voulait bien.

Mais quand le juge entra dans la salle et que le greffier lui rappela l’obligation de les enlever, son disciple Tafsir Abdoulaye Diallo lança un cri tellement fort qu’il se transforma en tonnerre qui s’abattit sur le tribunal dont trois des quatre murs se fissurèrent.

Le juge et ses assesseurs et tout le public durent prendre les jambes à leurs cous laissant le Saint Maitre dans la salle. C’est donc à l’extérieur du tribunal, en pleine rue, sur la place Protêt (actuelle place de l’Indépendance) à Dakar que le juge signa l’ordre de déporter Seydina Limamou (psl) à une destination inconnue et déclara que son disciple Tafsir Abdoulaye Diallo est encore plus dangereux que son maître.

Ils affrétèrent un bateau dans le but de le conduire loin de Dakar pour l’emprisonner. Mais c’était sans compter avec la détermination du Saint Maitre (psl) qui décréta qu’il ne quitterait jamais la région de Dakar en dépit de la force et des moyens colossaux des Blancs.

Ce fut le 27du mois de zoulhidja (14 Septembre 1887) qu’il fut embarqué avec son disciple Tafsir Abdoulaye Diallo à l’heure de la prière de l’après midi (asr).

Ce fut le jour le plus triste que connurent ses compagnons qui étaient désemparés à l’image d’un troupeau abandonné par son berger au milieu de la brousse. En Prophète averti, Seydina Limamou Lahi(psl) les réconforta avec ses paroles pleines d’assurance : « Si jamais le bateau qui m’emporte navigue assez loin jusqu’à ce que vous ne le voyez plus, alors sachez que je ne suis point le Mahdi que vous attendiez, le Prophète de la fin des temps. Ces blancs aux mains de qui je suis aujourd’hui, ne peuvent rien contre moi, si ce n’est la volonté du Tout Puissant qui m’a envoyé et m’a investi d’une mission prophétique que je dois accomplir en ce lieu».

Détracteurs de sa mission, ses parents lébous jubilaient sur le quai en pensant qu’ils vont être enfin débarrassés de ce « soi-disant» prophète et seront désormais tranquilles.

Notes


(52) A l’époque, quand les nomades prennent quelqu’un, pour le tuer, ils le battent avec leurs bâtons jusqu’à a mort. Satan voulait donc qu’on commençât tout de suite à le battre de cette façon pour en finir avec lui

(53) Cela nous rappelle ici le croyant dont parle le Coran qui s’était porté au secours du Prophète Moussa (PSL), quand les gens de Pharaon le menaçaient. Dieu dit : « Et un homme croyant de la famille de Pharaon, qui dissimulait sa foi dit : ’’Tuez-vous un homme parce qu’il dit ‘’Mon Seigneur est Allah’’ ? Alors qu’il est venu à vous avec les preuves évidentes de la part de votre Seigneur. S’il est menteur, son mensonge sera à son détriment ; tandis que s’il est véridique, alors une partie de ce dont il vous menace tombera sur vous. Certes Allah ne guide pas celui qui est outrancier et imposteur
! ‘’O mon peuple, triomphant sur la terre, vous avez la royauté aujourd’hui ! Mais qui nous secourra de la rigueur d’Allah si elle nous vient ?’’ Pharaon dit :’’je ne vous indique que ce que je considère bon. Je ne vous guide qu’au sentier de la droiture’’. Et celui qui était croyant dit : ‘’O mon peuple, je crains pour vous un jour semblable à celui des coalisés. Un sort semblable à celui du peuple de Nouh, des ‘Aad et des Samoud, et de ceux qui vécurent après eux’’. Allah ne veut faire subir aucune injustice aux serviteurs. Coran, 40-28

(54) il parlait de leurs descendances qui devront devenir ses disciples, plus tard.

(55) Les deux turbans symbolisant la double mission qu’il a eu à mener; le blanc rappelant sa première mission chez le peuple arabe. Mouhamed al Boussayri ne le présente-t-i pas dans son fameux ouvrage «A burda» comme « le prophète des deux existences, de la double charge, de la double appartenance raciale, le seigneur des arabes et des non arabes? (Saydul kawnayni wasaqalayn wa fâriqayn, Seyd urbin wa ajamin) ».

Écrit par: soodaan3

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