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«L’HISTOIRE DES LAYENES» ”1839 – 1949″ : 3 ans, 3 jours, 3 mois (suite)

today8 février 2023 41 3

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3 ans, 3 jours, 3 mois !

[…..] C’est ainsi que le Directeur de l’intérieur auprès du gouverneur Genouille à Saint Louis du Sénégal, nommé Quintrie écrit dans une lettre confidentielle du 17 décembre 1886 adressée à Banginski, délégué de l’intérieur à Dakar : « Il semble résulter de certains renseignements, dont je n’ai pas lieu de suspecter l’origine, qu’une nouvelle secte religieuse se serait formée dans le deuxième arrondissement. Le chef qui se dit ressuscité, habiterait paraît-il le village de Yoff, et se promène un peu partout en vue d’accroitre le nombre de ses prosélytes dont le chiffre s’élève déjà à près de 300. La présence de cet homme dans la localité pouvant constituer un danger grave et nous susciter, à un moment donné, de sérieux embarras, j’ai l’honneur de vous prier de surveiller et de faire surveiller ses allures par le commissaire de police. »

Banginski, aidé par le commissaire de police Milanini et un agent nommé Mbaye organisèrent une surveillance et une enquête qui ne confirmèrent pas ces soupçons. Deux Français parmi ceux qui furent au courant des préparatifs évoquèrent ces projets en conversant avec un commerçant, parent de Limamou, du nom de Dégaye Diagne. Celui-ci rencontra deux disciples de Limamou, nommés NDiaga Seck et Momar Diagne Aminata, leur fit savoir que deux Français ont dit à sa présence qu’on allait bientôt se rendre auprès de Seydina Limamou pour l’arrêter. « Allez vers lui et informez-le », leur dit-il.

Les deux adeptes de Limamou quittèrent Rufisque vers le milieu de l’après-midi et arrivèrent à Yoff dans la nuit. Le village dormait encore. Ils se dirigèrent vers la porte de derrière de la maison, Limamou les attendait là.

Dès qu’ils arrivèrent à lui, il leur dit : « Vous êtes venus me voir à propos du projet secret des quatre ? » Ils lui répondirent que le projet secret qui les amène était plutôt l’affaire de trois personnes seulement. Limamou répliqua : « Ajoutez Dieu à ces trois personnes et vous aurez quatre ». « C’est vrai », répondirent les deux adeptes. (42)

En effet, lorsque le jour de l’arrestation de Limamou par les Français approcha, ceux-ci envoyèrent auprès de lui des agents secrets qui déclarèrent à Limamou: « Nous avons travaillé longtemps au service des Blancs, maintenant nous voulons nous repentir et nous mettre au service de Dieu, implorer son pardon le reste de notre vie ». Limamou leur répondit que ces paroles étaient belles, leur ordonna de se laver et se raser, puis il leur laissa la liberté de se promener partout dans la maison, alors qu’il connaissait fort bien l’objet de leur venue à Yoff.

Après quelques jours d’infiltration, ils se levèrent de bonne heure et déclarèrent à Limamou, qu’ils ont l’intention de se rendre à Dakar pour aller prendre leurs bagages et revenir à Yoff. Limamou leur répondit : « Ne devriez-vous pas attendre ceux qui vous ont envoyé ici ? » Ils restèrent bouche bée puis s’en allèrent.

Ils furent guidés par un individu du nom de Massamba Koki. Dans la conclusion de son rapport l’agent Mbaye, affirme « … pour terminer donc je dois vous dire que le marabout Limamou Thiaou n’a en vue que sa doctrine et ses principes, que les gens qui vont le visiter n’y sont contraints que par la curiosité, que ses partisans ne sont pas armés. Enfin, que les bœufs et moutons qu’on lui donne en aumône sont aussitôt abattus. Quant à sa politique, rien jusqu’ici ne peut montrer une politique quelconque qu’il puisse avoir et faire supposer qu’il soit un perturbateur contre l’autorité française en excitant ses partisans à une révolte… ».

Malgré tout, ils tenaient pour certain, comme le leur faisaient croire certains informateurs lébous, que Seydina Limamou (psl) avait déjà acheté des armes soigneusement cachées et s’apprêtait à déclencher une guerre sainte. Ainsi, Banginski s’est-il déclaré insatisfait (43) par ce rapport et demande qu’on continue la surveillance secrètement.

Pendant que tout cela se tramait, il arrivait à Seydina Limamou Lahi (psl) de se confier à ses proches disciples sur l’autorité que lui a donné le Seigneur sur le pouvoir colonial « Dieu m’a donné, hier nuit, un plein pouvoir de décision sur Paris et Saint-Louis ». Ainsi, ceux qui faisaient partie de ce complot étaient mutés d’une manière ou d’une autre, pour des causes parfois inexplicables.

L’agent Mbaye fut affecté le 11 fevrier 1887, Milanini fut remplacé par Huguenin, le 1er mars 1887, Banginski fut remplacé par Cléret le 30 juin de la même année. Au moment de la prière du début de l’après-midi, Limamou Lahi, debout devant la porte de sa maison déclare à ses fidèles :

« Si quelqu’un vient ici dans l’intention de m’arrêter ou de me tuer, ne faites rien contre lui. Laissez-moi entre les mains du Créateur, Il me suffit et je cherche appui qu’en Lui. Je me fortifie en Dieu et Il est un appui suffisant. »

Ainsi, le 7 septembre 1887, dépêchèrent-ils le commissaire de police Huguenin accompagné de 10 spahis qui se dirigèrent à Yoff pour procéder à son arrestation. Ils se dirigèrent d’abord à son lieu de prière isolé au bord de la mer (lieu saint de Diamalahi, là où se trouve actuellement son mausolée) pour le surprendre, mais ne l’y trouvèrent pas. Ils décidèrent alors d’aller le cueillir directement chez lui. En chemin, ils croisèrent les disciples layènes rassemblés devant la mosquée en déclamant la formule de l’unicité « lâ ilâha illâ Allah » avant de pouvoir accomplir la prière de zohr (tisbar) comme enseigné par le Saint Maitre. Le Commissaire et ses compagnons arrivèrent et demandèrent aux fidèles groupés devant la mosquée : Où est Limamou ? On leur répondit qu’il était dans la maison. Lorsque le Commissaire et ses subalternes entrèrent dans la maison, tous les habitants de Yoff, sortis de leurs demeures, devinrent des spectateurs curieux de savoir comment allait se terminer la rencontre de Limamou Lahi (psl) et les Français.

Ceux-ci étaient armés de sabres et d’autres armes, tandis que Limamou (psl) n’avait rien d’autre que sa sereine confiance en Dieu. C’est pourquoi, quand ils arrivèrent chez lui, ils le trouvèrent seul sans arme, ni garde du corps. Les voisins Yoffois qui étaient hostiles au Saint Maitre étaient sortis de leurs maisons pour voir comment les blancs l’arrêteraient. Le Commissaire, armé d’un sabre et d’un pistolet, déclencha les hostilités en coupant la palissade de la maison et en tentant de brûler l’une des cases du Saint Maitre. Seydina Limamou y posa sa main et le feu s’éteignit automatiquement. Puis, il déclara à son agresseur : « Cette case ne brûlera guère ». Pris de colère, il dégaina alors son pistolet. Seydina Limamou lui indiqua son oreille en lui proposant: « Tire ici. C’est plus rapide pour tuer un homme ». Il s’exécuta en tirant à plusieurs reprises mais le pistolet ne marcha pas. Il prit alors ses menottes pour l’arrêter. Le Saint Maitre lui tendit ses mains, mais quand il ferma les menottes, Seydina Limamou Lahi (psl) prononça la formule « Là illâha illâ Allah » et celles-ci tombèrent par terre. Après plusieurs autres vaines tentatives, le Commissaire se rua violemment sur Seydina Limamou Lahi qui le souleva d’un seul coup et le terrassa par terre et il s’évanouit. Limamou le souleva en lui disant : « Lève-toi ennemi de Dieu, tu ne mourras pas sur cette terre de Dieu ».

L’infortuné courut rejoindre sa monture pour battre en retraite et quitta Yoff avec des cris de douleurs. Une fois devant ses supérieurs, il leur révéla que Seydina Limamou n’était pas un homme ordinaire. Inquiètes, les autorités françaises sous l’impulsion de Cleret et l’autorisation du gouverneur intérimaire Quintrie (44) décidèrent de lever une armée contre lui. Ils en informèrent le Serigne Ndakaru de l’époque du nom de Dial Diop II communément appelé Dialy Beukeu. Il leur informa que Limamou était son neveu et les pria de lui laisser le temps de faire la médiation entre eux et lui. Il était un oncle paternel de Limamou. Il affirma aux Français que ce qu’on raconte sur Limamou n’est que calomnie et leur demanda de ne pas se rendre à Yoff avec leur armée et que lui-même se rendrait auprès de son neveu pour l’inviter à venir de lui-même à Dakar.

Au jour fixé (samedi 10 septembre 1887) le Serigne Ndakarou se rendit à Yoff accompagné de plusieurs notables de Dakar. Ils furent reçus et installés à l’endroit situé entre la maison et la mosquée de Limamou. Celui-ci serra la main, échangea avec eux d’agréables salutations, les mit à l’aise, son visage restant toujours souriant, il leur offrit des repas délicieux et variés. Chacun se régala. Puis le Serigne Ndakarou appela Limamou et lui dit en présence de tous les notables qui l’accompagnaient : « Nous voudrions que tu ordonnes à tes fidèles de retourner chez eux et que toi, tu viennes avec nous afin que nous puissions te réconcilier avec les autorités françaises. Tu es un fils du pays, il ne serait pas correct que tu occasionnes la destruction du pays, car si les Blancs viennent ici, ils détruiront le village; or tu comptes ici beaucoup de parents et tu es le soutien de plusieurs familles.»

Limamou (psl) lui répondit : « O toi mon oncle paternel, je t’avais dit, il y a de cela trois ans, que les autorités françaises t’offriront un grand parasol et qu’un jour toi et moi nous passerions la journée sous ce parasol, eh bien nous y voilà, c’est cette journée d’aujourd’hui »

En effet, à l’endroit où ils étaient assis, on avait dressé pour le Serigne Ndakarou un large parasol, semblable à une maison. Limamou leur dit encore : « Vous voulez que j’ordonne de s’en aller ces éperviers de Dieu, qui espèrent profiter de la grâce de Dieu répandue ici? » Limamou voulait par-là, leur faire savoir qu’il ne pouvait chasser les fidèles, qui ont cru et accepté ce que Dieu lui a ordonné et qui obéissent à ses commandements. Il leur dit encore : « Vous voulez que je renvoie d’ici mes disciples pour rester seul et recommencer avec vous nos anciennes activités de pêcheurs de poissons ? Non, cela ne se fera plus jamais. Dieu m’a placé au-dessus de vous et au-dessus de toutes les créatures. Par ma taille, je vous dépasse en hauteur et aussi en profondeur. Limamou est Limamou de Yoff. Je ne bouge pas d’ici et personne ne peut rien contre moi. C’est Dieu qui m’a implanté ici afin que je lance un appel à l’endroit des hommes et des djinns, et aucune créature ne peut empêcher cela. »

 

Notes


(42) Selon le Coran : Trois ne se concertent sans que Dieu ne soit le quatrième, ni cinq sans qu’il soit le sixième, ni un nombre plus petit, ni un nombre plus grand sans qu’i soit présent. Coran, 58 7

(43) Correspondance n ° 655 du 11fevrier 1887

(44) il assurait l’intérim de la Gouvernance de Saint louis suite à l’absence du Gouverneur tituaire Jules Genouille absent depuis le mois de juin de la même année pour une cause que nous ignorons.

Écrit par: soodaan3

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