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«L’HISTOIRE DES LAYENES» ”1839 – 1949″ : EN ROUTE VERS L’APPEL (suite)

today4 février 2023 28 1

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En route vers l’Appel

[……] Jour j-6. Ce fut un jour de lundi appelé « altiné tojj », ou jour de repos. Alors qu’il était à la place publique ainsi que d’autres habitants de Yoff, il disparut subitement aux yeux de tous et réapparait quelques instants après en leur lançant cette phrase lancinante « je vous transmets le salut de mon Seigneur ».

C’est au cours de cette ascension que le Seigneur lui donna alors son wird et lui attribua d’autres dons dont nous n’avons pas connaissance. Ainsi fut accompli un voyage diurne par le Prophète noir de la fin des temps. Nous sommes en 1301 de l’hégire, le 25ème jour du mois de rajab (1884).

Jour j-4. Deux jours après, sa mère rendit l’âme. Il entama un jeûne, s’abstenant également de parler. En réalité, il avait rêvé, quelques jours auparavant, que les anges étaient descendus nombreux sur la plage de Yoff, accompagnant une sainte femme à sa dernière demeure, un rêve qu’il avait raconté à son cousin Daouda Ndoye en s’émouvant de la grâce de cette sainte femme. En réalité, ce rêve lui annonçait le décès de sa mère.

Telles les douleurs de l’enfantement, c’est dans ce climat de désarroi que devra être suscité le plus illustre des messagers de Dieu sous une apparence noire, une race qui n’a pas la culture de la prophétie. On crut alors que c’était le décès de sa mère qui l’avait affecté de la sorte, raison pour laquelle il ne voulait ni parler ni se nourrir, répétant sans cesse la formule de l’unicité de Dieu : « la ilaha ilallah ».

Certains crurent qu’il était devenu fou, ce fut la deuxième raison pour laquelle on l’accusa ainsi. En réalité, c’est au cours de cette même nuit qui enregistra le décès de sa mère qu’Allah l’investit de la mission prophétique qui devait être son joug pour le restant de sa vie terrestre, ce fut une nuit de mercredi kazu rajab de l’an 1301 de l’hégire.

Tourmentés par son mutisme, la formule d’unicité de Dieu qu’il entonnait constamment, son refus de se nourrir, ils en conclurent qu’il était devenu fou et décidèrent d’aller consulter les génies et les ancêtres pour le guérir.

Ces rituels constituaient la caractéristique fondamentale de cette communauté qui, bien qu’étant musulmane, avait conservé ses cultes païens remontant de l’Egypte antique pour la plupart, avec bien sûr, des adaptations et évolutions au cours des différentes migrations. Le rituel consistait d’abord à préparer des plats spéciaux à base de mil que prêtres et prêtresses devaient donner en offrande aux ancêtres avant de poursuivre par d’autres sacrifices de sang. Toutefois, à chaque fois qu’ils entamaient le rituel, les anges intervenaient pour faire disparaitre tout le mil à leur grand émoi. Ainsi, le mil disparaissait sans qu’ils n’aient eu le temps de comprendre comment cela a pu se passer.

Ils décidèrent ainsi d’aller consulter le plus grand érudit d’alors de toute la presqu’ile du Cap Vert: Tafsir Ndiaga Guèye. Son éminence en science islamique était tellement reconnue qu’on lui avait consacré une formule devenue une expression populaire qui a survécu jusqu’à nos jours « Njagaama ci sutt » (20). Il était un érudit appartenant à l’école de la jurisprudence malikite et à l’école de théologie ash’arite. Il était imam et muqaddam dans la confrérie tidiane. Il est né vers 1840 à Yoff Ndinate. C’est vers lui que la population de Yoff s’est tournée, après l’échec du culte des ancêtres, pour une solution au « mal » de Limamou.

Celui-ci, après son istikhar (21), leur déclara: « Vous m’avez dit qu’il refuse de manger depuis trois jours alors que je vois quelqu’un qui jeûne. Ce sont les anges qui lui apportent des aliments du paradis au moment de la rupture. Vous le croyez fou mais il ne l’est pas. Toutefois, il y a quelque chose en lui qui devra se révéler; je vous recommande de chercher un Coran complet (22) que vous mettrez sur sa poitrine la nuit, à son réveil, ce qui est en lui se dévoilera en plein jour ».

Ce fut le samedi 30 du mois de rajab 1301 de l’hégire.

Ils le firent comme cela leur fut recommandés. C’est avant l’aurore qu’il a commencé à faire les cent pas dans la cour de la maison en répétant « ndjiinoo njiinum yalla jib na ».

Au lever du soleil, il vint voir sa tante paternelle Adama Thiaw en lui disant: « Couvre-moi de deux couvertures neuves et blanches. Sache que Dieu t’a donné un fils qu’il n’a donné à nul autre que toi ». Puis il alla voir sa cousine maternelle Ndiaye Diaw en lui disant : « Couvre-moi de deux couvertures neuves et sache que Dieu t’a donné un frère qu’il n’a jamais donné à personne au monde ».

Il appela ses deux épouses et leur dit : « O toi chaste Fatima et toi la vertueuse Farimata, soyez patientes, Dieu vous a donné un mari qu’il n’a jamais donné aux autres femmes.

Je vous fais savoir que votre ancien compagnon Limamou est différent de celui-ci, car Dieu a fait ce qu’il a voulu, de par sa volonté il m’a placé au-dessus des créatures. Il m’a chargé d’appeler les hommes et les djinns pour les guider ver Lui »

L’événement décisif eut lieu vers 9h30 du matin.

Vêtu de ces 4 couvertures blanches : l’une au niveau de la taille, la deuxième au niveau de l’abdomen, la troisième au niveau des épaules et la quatrième qu’il mit sur les trois autres. Parcourant les rues de Yoff et la plage, il lança son fameux cri qui bouleversa toute cette contrée avec sa mémorable formule

« adjiibuu daa‘iyal lahi yaa ma’charal ins wal jinni innii rassuulu lahi ilaykum : Venez répondre à l’appel de Dieu , O peuples d’hommes et de jinns, je suis un envoyé de Dieu à votre endroit».

Ce fut un jour de dimanche du mois de mai 1884. (23) Peut-être serait-il pertinent d’apporter d’autres formules qu’il a utilisées et qui lui a valu une remarque fort révélatrice,

« Limamo ngaa lakki yaaram: Limamou est en train de parler l’arabe », de la part de son peuple.

« alhamdoulilahi lazii lam yazal (24)

Ajiibou daa ‘iyallahi yaa ma’charal insi wal jinn innii rassuululahi ilaykum

Mouhamad minal baydi qad aswada (25)

Muhammadu naamaa wa ayhaza muhammadu (26)

Kalay len jaa a al amrul a’zam, kalay len,kaay leen nieuw len, dik len,jaa a al amrul a’zam (27)

wa lilaahil amru, wa li rassuli, wa li ‘izzati wa lilaahil amru (28)

Amaroo amar, amar madické fari yaaram dan jaamaa naar ba hesson niul na » (29)

Alors, les gens crièrent à la folie et à l’hérésie. Ce peuple bien qu’étant foncièrement illettré et idolâtre n’en était pas moins musulman depuis des siècles déjà. Si nous nous aventurions à une comparaison entre ce peuple et celui de la Mecque d’avant Muhammad, on dira que le premier est muchrikun (associateur) alors que le second est kaafirun (mécréant). Ce fut alors la troisième raison pour laquelle il fut taxé de fou.

Les gens étaient bouleversés par ses paroles, les uns choqués par ce qu’ils considéraient comme une hérésie, les autres pris de pitié pour l’homme qu’ils avaient connu pour sa droiture, son abnégation et sa moralité infaillible. La rumeur commença à circuler que Limamou était devenu fou. Certains dirent qu’ils n’étaient pas étonnés de la folie de Limamou car il n’appartient pas à un jeune de cet âge d’être aussi pieux, passant son temps à prier et ayant toujours le chapelet à la main.

En effet, dans le peuple lébou d’avant Limamou, Satan avait soufflé à l’oreille des gens que les jeunes et les femmes ne devraient pas adorer leur Seigneur, sinon ne le faire qu’occasionnellement au risque d’attirer le malheur sur eux et leurs proches. C’est ainsi qu’on disait qu’une femme qui prie régulièrement et en respectant les ablutions risque « d’enterrer plusieurs maris ». Cela était tellement ancré dans la conscience collective que les rebelles étaient marginalisées, risquant d’être veuves à vie ou de mourir célibataires. De la même manière, les jeunes qui respectaient scrupuleusement les préceptes religieux, dans la conscience populaire, étaient destinés à mourir tôt ou à tomber dans la folie. Ces croyances populaires arrangeaient les jinns que ce peuple prenait comme divinités sous le nom de hamb, de tuurs et de rabs.

Ces derniers alors ne ménageaient aucun effort pour consolider cette fausse croyance en s’attaquant aux jeunes et femmes qui décidaient de transgresser la règle, en les rendant malades, fous ou en les « assassinant ». Ce fut un rude combat entre la lumière et les ténèbres. De véritables obstacles et obstructions pour ceux qui aspiraient à aller vers la lumière.

C’est dans un tel contexte que Limamou lança son appel mémorable défiant ainsi avant quiconque, son propre peuple.

Ainsi son appel posait problème à différents niveaux :

D’abord, la majorité des quelques érudits qui étaient au Sénégal croyaient fermement, comme la majorité des musulmans qu’aucun prophète ne viendra après Muhammad (psl). De cette conviction sur laquelle ils n’avaient pas l’intention de débattre, naquit l’hostilité des savants à son encontre. C’est la raison pour laquelle, ceux-ci lui dirent: « C’est parce que tu es un illettré que tu oses te proclamer prophète car si tu étais instruit ne serait-ce qu’un tout petit peu, tu saurais qu’il n’y a pas de prophète après Muhammad ». A ceux-là, il répondit tout simplement : « mana demb mana tay-c’était moi hier, c’est encore moi aujourd’hui ». (30)

Ensuite, il rencontra l’hostilité de la masse qui avait avec lui deux différends. Le premier était d’ordre sociétal, c’est-à-dire qu’elle n’entendait pas abandonner le culte de l’idolâtrie que leurs ancêtres leur avaient légué pour répondre à un concitoyen, de surcroit illettré. Le second est qu’ils le croyaient fou, atteint de sorcellerie ou d’excès en matière d’adoration de son Seigneur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque son oncle Daouda Ndoye se rendit à la « grand place », comme à l’accoutumée, ses amis lui en refusèrent l’accès en ces termes : « Tu ne t’assiéras pas ici tant que tu n’emmèneras pas ton neveu se faire soigner. Ne sais-tu pas que ton « fils » qui est si bon avec tout le monde est ensorcelé? ».

Celui-ci revint pour voir son neveu mais avant qu’il n’ait eu le temps de prononcer un mot, Limamou lui dit: « les gens de la « grand place » disent que je suis ensorcelé, en vérité ils sont égarés, ils se méprennent sur mon sort. En vérité, si tu veux connaitre qui je suis réellement, il faut entreprendre un voyage en destination de La Mecque, lorsque tu arriveras là-bas, dis-leur que tu as un « fils » qui est devenu fou, qui a atteint la quarantaine et qui dit telle et telle chose ».

Son oncle lui répondit qu’il lui était impossible d’entreprendre un tel voyage. Limamou lui demanda alors de ne pas croire à ce que disent ces gens-là, de lui faire confiance et de le laisser entre les mains de Dieu qui a décrété ce qui est en lui.

Enfin, devait venir l’hostilité des colons qui entrèrent dans la danse pour deux raisons. Premièrement, leur irruption fut impulsée par le peuple de Limamou qui, ayant utilisé tous les stratagèmes pour lui faire abandonner son appel, échoua lamentablement et vit le nombre de ses adeptes s’accroitre. En plus, Limamou, avec ses compagnons, s’attaquèrent à maintes reprises aux idoles qui jusqu’alors semblaient être intouchables. En effet, aucun homme avant Limamou n’osa défier ouvertement ces idoles encore moins les « saccager » (31). Cette dose de frustration justifia que son propre peuple alla voir l’administration coloniale pour lui rapporter que Limamou compte faire un jihad contre eux.

Ses disciples à Saint Louis suivirent son exemple en délogeant la pierre fétiche de Mpal appelée Maam Kantaar (32) dont les autochtones ne savaient plus depuis quand elle était là. Ce fut une grosse pierre à qui les habitants du village et des environs vouaient un culte sous forme de pèlerinages périodiques et de sacrifices, et à quoi on attribuait toutes sortes de pouvoirs. A chaque fois qu’il y avait un nouveau-né dans cette contrée, celui-ci était présenté à Maam kantaar en guise d’allégeance. Le jour de son baptême, on versait du lait caillé et de l’huile de palme provenant de la cérémonie sur la pierre. Cette pierre était crainte par les villageois tout comme par les maures pillards et les colons envahisseurs. D’ailleurs, la population locale qualifiant le fait de vandalisme et de profanation, déposa une plainte auprès de l’administration coloniale. La seconde raison de l’immixtion des colons est qu’ils étaient en alerte constante. A chaque fois qu’une autorité religieuse ou coutumière commençait à drainer les foules, ils le considéraient comme un ennemi à abattre car celui-ci pourrait redonner un espoir d’indépendance et de révolte aux populations autochtones, d’où les nombreuses déportations de plusieurs guides de pays différents…

Trois semaines après son appel, son ami Thierno Sarr Thiom vint lui remettre des habits neufs qu’il mit en ôtant les quatre couvertures blanches. Il mit sur sa tête deux turbans, l’un noir l’autre blanc, qui ne le quitteront plus jamais jusqu’à la fin de sa vie. (33)

Bien avant cet appel, Seydina Limamou Lahi (psl) avait confié Issa mu ndaw à Tafsir Ndiaga Gueye pour son initiation à l’apprentissage du Coran. Arrivé au Daara (école coranique) de Tafsir Ndiaga Gueye, Issa mu ndaw comme l’appelait affectueusement son père fut confié à Tafsir Ibrahima Mbengue, futur disciple de son père. Lorsqu’il commença à lui dicter les lettres de l’alphabet coranique, Issa ne pouvait suivre au-delà de la troisième lettre « mîm » sans s’évanouir. Après trois essais, Tafsir Ndiaga Guèye ramena Issa mu ndaw chez son père en lui raconta la scène. C’est alors que le Saint Maître Seydina Limamou Lahi fit une prière qu’il souffla sur sa tête et lui dit à trois reprises: « Issa mu ndaw, tu dois apprendre le Coran car quelqu’un dont le destin est de diriger le monde doit chercher la connaissance ». C’est après cela qu’il commença réellement à apprendre le Coran et, par la suite, les autres formes de connaissance auprès de Tafsir Ndiaga Gueye. Il maîtrisa le Coran à l’âge de 7 ans. (34)

Quant à Mandione Thiaw, son père Limamou l’envoya à un « daara » à Saint-Louis pour sa formation. Plus tard, il rejoignit la Mauritanie, toujours à la quête du savoir.

Ibrahima Abou SAMB

Notes


(20) Expression qui signifie « Ndiaga en sait plus que moi »

(21) Prière ayant pour but d’avoir des éclaircissements sur quelque chose, de la part de Dieu.

(22) A l’époque, il était rare de trouver un Coran complet. Les livres n’étaient pas accessibles, surtout dans cette partie du globe.

(23) 1883 d’après a tradition orale et l’ouvrage de Doune Pathé Ndoye « Jawaabu saa il »

(24) Gloire à Dieu, l’Eternel

(25) Muhammad, jadis suscité parmi les Blancs est devenu Noir

(26) Muhammad qui s’était endormi, s’est réveillé

(27) Venez à moi, l’événement majeur est arrivé

(28) A Dieu, appartient e décret, la prophétie et la puissance

(30) Voir également l’histoire d’Ahmadou Kane de Sakkal et sa fin tragique.

(31) Avec la formule du tawhid, aucune idole ne pouvait résister à sa voix et à celles de ses compagnons.

(32) On raconte que ce fut un disciple de Seydina Limamou (psl) du nom de Alaaji Mbaye, dont une partie de la famille est aujourd’hui à Cambérène, qui a déplacé la pierre à l’émoi de toute la population. Il en aurait fait une pierre sur laquelle il posait ses pieds pour faire ses ablutions.

(33) Le turban banc symbolise son premier avènement à la Mecque; le turban noir, son avènement à Dakar, sur la terre africaine.

(34) Selon le professeur Baye Balla Niang

Écrit par: soodaan3

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