TRIBUNE DU VENDREDI N°162 : Seydina Mandione Lahi et sa succession en 1971

6 juin 2025 78 2

Seydina Mandione Lahi et sa succession en 1971

Demain samedi, la majorité de la communauté musulmane célébrera la fête de l’Eid el Kébir ou Tabaski, une des deux fêtes les plus importantes de la religion islamique. C’est ainsi que nous vous proposons de remonter le temps pour revivre les deux dernières fêtes de l’Eid el Fitr et de l’Eid el Kébir sous le califat de Seydina Mandione Lahi. En effet, c’est seulement quelques jours après la fête de tabaski de 1971 que ce dernier fils encore vivant du saint-maitre quitta ce monde à l’âge de 90 ans.

Le dernière Korité qu’il passa de sa vie eut lieu le lundi 30 novembre 1970. Le matin de très bonne heure, les proches du Khalif et les dignitaires de la communauté à l’image de l’Imam Babacar Diop (imam de la mosquée de Yoff Layène), El Hadj Momar Marème Diop (Serigne Ndakaaru), Baye Alié Diagne, Baye Mame Mbaye Samb, etc. et les « Magi Ndakaaru » s’étaient réunis dans le salon de sa résidence de Yoff afin de l’accompagner à la prière comme d’habitude. C’est à ce moment que Seydina Mandione envoya son petit-fils Baye Mbaye Sarr (fils ainé de Sokhna Aitassène Thiaw fille ainée de Seydina Mandione) pour aller chercher son oncle Baye Seydi Thiaw. Une fois que Baye Seydi Thiaw se retrouva devant le saint homme, celui-ci l’informa que son grand-père Seydina Limamou Lahi (asws) l’avait choisi pour diriger la prière à sa place. Mieux encore, Seydina Mandione se sépara de son turban noir, un des symboles du califat de Seydina Limamou Lahi (asws), et le posa sur la tête de son fils ainé. C’était la première fois qu’un Khalif de la communauté Ahloulahi s’était séparé de son turban noir pour en coiffer la tête d’un autre qui n’avait pas encore accédé à ce statut. Cet acte ne pouvait donc être banal encore moins gratuit dans la mesure où le Khalif Seydina Mandione n’allait plus jamais, par la suite, reprendre ce turban noir le reste de sa vie. Ainsi, à partir de ce jour, le turban noir resta avec Baye Seydi Thiaw. Tous les fins observateurs présents comprirent que Seydina Mandione venait de lancer officiellement le processus de transmission du califat à son futur successeur désigné.

A la suite de cela, Baye Seydi Thiaw, accompagné des dignitaires de la communauté qui ont toujours été aux côtés des Khalifs dans ces genres d’occasions alla pour la première fois diriger la prière à la place de son illustre père. L’éminent Serigne Modou Mboup portait le traditionnel parasol comme il l’avait fait tour à tour pour le premier Khalif Seydina Issa Rohoulahi (as) en son temps, pour Seydina Mandione aussi avant ce jour et pour Seydina Ababacar Lahi. Après avoir dirigé la prière, Baye Seydi Thiaw prononça le sermon et pria pour la communauté et le monde au nom de son père, le Khalif. Ce fut la première fois que les fidèles le voyaient s’exprimer en public. C’est ce jour-là que Baye Issa Ndoye de Yoff Ngaparou dit « Baye Issa Nangoulane » est tombé en syncope. Quand il est revenu à lui et qu’on le questionna sur la raison, il déclara avoir vu son grand-père Seydina Limamou Lahi prendre entièrement possession du corps de Baye Seydi Thiaw au moment où il prononça la « takbiratul ikhram ».

Durant toute la période qui suivit cette prière de Korité, Seydina Mandione ne donnait plus le wird aux nouveaux adhérents venus embrasser la doctrine Ahloulahi. Il les orientait directement auprès de Baye Seydi Thiaw. Il en était de même aussi pour les personnes venues auprès de lui pour recueillir ses prières. A chaque fois, il leur disait : « Aller plutôt voir Seyna ». Quelques deux mois après cette première sortie officielle qui avait révélé Baye Seydi Thiaw Lahi à la communauté Ahloulahi et au monde, arriva la prière de l’Eid et Kébir ; celle qui allait être la dernière que Seydina Mandione passerait de sa vie. Sur instruction de son illustre père, Baye Sedyi présida encore la prière à Diamalaye le samedi 6 février 1971 (coïncidant au 10 Dhul Hijja de l’an 1390). Hélas.

Quelques semaines après la prière de Tabaski, Seydina Mandione Lahi, deuxième Khalif s’éteignit dans la nuit du lundi 22 au mardi 23 février 1971 (nuit du 26 au 27 de Dhul Hijja de l’an 1390). Aussitôt après, Baye Seydi Thiaw à qui son père avait confié ses dernières volontés, avait pris ses responsabilités sans rien attendre. Il avait choisi les personnes chargées de la toilette mortuaire notamment l’Imam Babacar Diop qui était un ami intime de Seydina Mandione ainsi que Baye Mame Mbaye Samb. Il confirma le lieu où la tombe devait être creusée à Diamalaye et qui est le même qu’avait choisi Seydina Issa Rohoulahi au cas où il aurait été rappelé à Dieu à Yoff ou à sa résidence de Dakar ville. Baye Seydi Thiaw s’était tellement bien arrangé que personne en dehors d’un groupe restreint ne fut au courant du décès du Khalif. Il dirigea la prière mortuaire de son père Seydina Mandione un peu avant l’aube du mardi 23 février 1971.

Ainsi, de la même manière que Seydina Issa Rohoulahi (as) dont il porte le prénom avait dirigé celle de son père Seydina Limamou Lahi (asws) en 1909 avant de lui succéder en tant que premier Khalif, Baye Seydi Thiaw Lahi a fait la même chose pour son père Seydina Mandione avant de le remplacer en tant que premier petit-fils à occuper le Khilaafat de son grand-père (asws). Ce n’est que seulement après l’enterrement que Baye Seydi Thiaw fit informer la plupart des proches et des fidèles du rappel à Dieu de Seydina Mandione. Baye Seydi Thiaw entouré de tous ses frères et cousins sans nulle exception a reçu les autorités et délégations venues présenter leurs condoléances.

A chaque fois, il chargea son frère cadet Serigne Ablaye de répondre aux visiteurs venus témoigner leur solidarité. C’est le jour-même des funérailles que le « Serigne Thianaba » El Hadji Ibrahima Seck entre autres autorités religieuses, administratives et coutumières est venu à Yoff pour présenter ses condoléances au nouveau Khalif Baye Seydi Thiaw. À l’heure de la prière de Tisbar, Baye Seydi Thiaw pour des raisons que l’on ne saurait rapporter ici chargea Serigne Ablaye d’aller en urgence diriger la prière à la mosquée de Yoff Layène.

L’accession de Baye Seydi Thiaw au califat de Seydina Limamou Lahi comme premier des petits-fils à occuper ce rang s’est faite spontanément et sans condition tout juste après l’enterrement de Seydina Mandione. Cette accession au pouvoir avait été annoncée une première fois par Seydina Issa Rohoulahi (as) dès les années 20. Ce fut le jour où après être venu récupérer la dépense quotidienne auprès de son oncle Seydina Issa Rohoulahi, le premier Khalif déclara devant tous : « Mon fils et homonyme que voici porte déjà sa part de la charge de mon père. Il sera un Khalif de mon père et c’est au cours de son khilaafat que la plus grande vague d’adhésion à la doctrine Ahloulahi se observée ». Il ajouta que c’est au cours de son magistère que les « peru kurus » dont parlait Seydina Limamou Lahi en 1887 devant les dignitaires de la collectivité Lébou embrasseraient la voie de son père.

A l’époque, il convient de le préciser, la plupart des fils de Seydina Limamou étaient encore de ce monde. La deuxième personne à annoncer l’accession de Baye Seydi Thiaw Lahi au califat du meilleur des hommes en tant que troisième Khalif de Seydina Limamou Lahi fut Seydina Ababacar Lahi que d’aucun appelaient « Baabul ‘Uluum ». Ce fut en 1966 ; Seydina Mandione Lahi empêché, n’a pu se déplacer pour diriger la fête de l’Eid, en tant que Khalif et Imam, comme il est de coutume dans la communauté Ahloulahi. Il avait alors chargé son frère cadet, Seydina Ababacar Lahi, réputé pour son érudition, de le remplacer pour diriger l’office. Toutefois, après cette célèbre prière, Mame Babacar Lahi fit une déclaration qui laissa tous ceux qui avaient compris le message sans voix et dans une profonde tristesse. Il avait clairement dit : « Sama Baay sotal na ap sëtëm ! Man Baabakar Laay mu Limaamu Laay du ma tok : Sëydi Caw mu Sëyna Manjoon mooy took !».

Il ne s’en limita pas là dans la mesure où il désigna officiellement Baye Seydi Thiaw, au crépuscule de sa vie en 1966, comme son successeur en lui léguant ses fameux dons qui lui avait trainé une grande réputation dans toute l’Afrique. Il avait alors déclaré : « Si un jour, il arrive que vous ne me voyiez plus de ce monde, allez auprès de Seydi Thiaw fils de Seydina Mandione pour faire exaucer vos vœux ». D’ailleurs, ces propos de Seydina Ababacar Lahi ont plusieurs fois été rappelés par son fils Seydina Mouhamadou Lamine Lahi (actuel Khalif) à l’occasion des « Nianu » Baye Seydi Thiaw qu’il a animés. C’est pourquoi, quand Seydina Mandione Lahi quitta ce monde en 1971, l’accession de Baye Seydi Thiaw au califat de l’élu s’est faite toute naturellement et sans heurt.

Le dimanche 14 mars 1971, quelques 3 semaines après les funérailles de Seydina Mandione, Serigne Ablaye à qui le défunt Khalif avait confié la gestion des Dahiras, est revenu à Yoff en mobilisant l’ensemble des fidèles de la communauté pour venir faire leur première ziarra au nouveau Khalif Baye Seydi Thiaw. Le quotidien national Le Soleil, dans son édition en date du mardi 16 mars 1971, a d’ailleurs dédié un article spécial à cette première manifestation religieuse qui a servi d’occasion aux fidèles pour faire allégeance au nouveau Khalif. Nous rapportons en intégralité l’article spécial du Soleil sur l’arrivée d’un nouveau Khalif à la tête de la communauté Ahloulahi :

« Sous le grand Chapiteau du Préau de Yoff-Diamalaye s’est déroulée dimanche une grande manifestation religieuse qui avait revêtu une double signification… En effet, il s’agissait de présenter à la famille de feu Seydina Mandione les condoléances des fidèles talibés à qui en retour on devait présenter le nouveau Khalif général issu de la ligne la plus directe, ligne qui n’a jamais été interrompue depuis la mort du vénéré Seydina Limamou Laye, fondateur de la Communauté. Cette manifestation a permis aux fidèles de se recueillir auprès du nouveau Khalif El Hadj Seydina Thiaw Laye.

Plus de 15 dahiras dont une forte majorité de femmes ont fait ce pèlerinage. Elles sont venues de Ngakham derrière Tivaouane en passant par Thiès, Mbour, Rufisque, Bargny et tout le littoral du Cap jusqu’à Grand Yoff. Le convoi qui avait pris le départ à Malika était impressionnant par le nombre de cars et étonnant de discipline. Les foules sur son passage ne pouvait s’empêcher de manifester leur soutien en regardant cette tenue d’une blancheur immaculée qui est la marque distinctive de cette communauté aux mélodies enivrantes entonnées par des jeunes filles rompues à cet exercice.

Après la mise en place des dignitaires, des troupes et des fidèles, quelques airs de chants composés par El Hadj Abdoulaye Thiaw en l’honneur du nouveau Khalif furent entonnés en chœur avant que ne commencent les cérémonies. El Hadji Abdoulaye Thiaw, avec une éloquence et dévotion qui le caractérise présenta les condoléances des fidèles présents ou absents au nouveau Khalif et à sa famille. Face aux fidèles, il leur présenta celui que Dieu a placé devant eux pour présider aux destinées de la Communauté Layène en disant : « Fidèles, voici notre Khalif El Hadj Seydina Thiaw Laye ». Se retournant vers le Khalif, il embrasse la foule d’un geste de mains et dit : « Khalif, voici tes fidèles ». Et poursuit : « Par la charge que m’avait confié notre défunt Khalif, j’étais chef des armées (n.d.l.r. : entendez talibé N°1). Aujourd’hui plus qu’hier, je suis toujours disponible au service de l’Islam ».

Le Khalif remercie la foule de son geste et la bénit puis déclare que tous les talibés doivent montrer le bon exemple. L’unité, la foi, la discipline et la disponibilité doivent les guider. Pour sa part, il n’admettra pas de déviationnisme. Ceux qui veulent faire progresser l’islam trouveront, auprès de lui, tout son appui. Les bons seront récompensés, les mauvais ne le seront pas, au contraire. Il remercia particulièrement El Hadj Abdoulaye Thiaw pour son sacrifice, le confirmant dans ses tâches anciennes et le chargea d’autres missions qui aux yeux des fidèles est une marque de reconnaissance.

Plusieurs orateurs prirent la parole après lui. El Hadj Mame Alassane, frère du Khalif, se déclara quant à lui plus mobilisé que tous les autres. Il entend rester simple talibé prêt à assumer les charges les plus écrasantes. » [fin de l’article]

C’est au cours de cette première ziarra au nouveau Khalif que Serigne Ablaye avait fait la célèbre déclaration citée par l’Imam Mouhamadou Sakhir Gaye dans l’ode qu’il composa à la mémoire de Seydina Mandione :
Al Haaji Ablaay a leeral xol yi ker ba mu nee
Wii yoon ku fiy mak la ñuy wormaal mu jiitu nu dem

Cela ne signifie pas qu’il y ait eu une quelconque velléité de contestation du choix du Khalif pour justifier une telle déclaration. En effet, Seydina Limamou Lahi, le fondateur de notre communauté, tout comme chacun de ses fils avait clairement précisé et entériné le mode de succession au califat. Et les notables de la communauté et toute la famille de Seydina Limamou Lahi sans exception s’étaient déjà rangés aux côtés du nouveau Khalif Baye Seydi Thiaw dès les premières heures y compris Mame Oumy Thiaw Lahi fille cadette de Seydina Limamou Lahi et doyenne de la famille Ahlou beyt. Il s’y ajoute que quelqu’un comme Seydina Mandione Lahi, dont la grande sagesse a été chantée par tous les auteurs qui ont parlé de lui, en tant que dernier fils vivant de Seydina Limamou Lahi, ne pouvait pas manquer de régler définitivement cette question de succession avant de partir et de laisser la place à la génération des petits-fils.

Seydina Mandione, il faut le rappeler, avait gardé le califat pendant 3 jours, en 1909, à la suite du rappel à Dieu de son père, pour permettre à son frère ainé Seydina Issa Rohoulahi de revenir à Yoff, présider la prière mortuaire et succéder au saint maitre. C’était donc une façon pour Serigne Ablaye, en tant que porte-parole du défunt Khalif de rappeler à tous le dogme qui régit la succession au califat du saint maitre des Ahloulahi.

Qu’Allah réhausse Seydina Mandione en grade auprès des Muqarrabîn.