CHRONIQUES

TRIBUNE DU VENDREDI N°13 : Hommage à Seydina Ababacar LAHI

today31 janvier 2021 17

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QUAND « Al Yeumbeulî » CHANTE « Bâboul Ouloûm »

Dans le cadre de la célébration de l’anniversaire de la disparition du vénéré Seydina Babacar Lahi ibn Seydina Limamou Lahi (asws) prévue le 7 février 2020, nous avons tenté, à travers cette tribune du vendredi, de découvrir qui était ce digne fils du saint maître.  Aussi, comme ce fut le cas pour son frère aîné Seydina Mandione Lahi il y a quelques mois, allons-nous fouiller le répertoire poétique des Ahloulahi pour consulter les vers composés en son honneur et tenter de les décrypter en espérant enfin obtenir la réponse à notre interrogation.

Il est le fils du saint maître Seydina Limamou Lahi (asws) et de la sainte Aminata Sylla dite « Toute Sylla », fille du grand dignitaire Thierno Babacar Sylla dit Mbaye Sylla qui fut l’imam de la grande mosquée des Lébous et le président (cadi) du tribunal musulman pendant 22 ans. Seydina Babacar et sa sœur cadette Sokhna Oumy Thiaw Lahi perdirent très tôt leur mère et c’est leur père qui se chargea lui-même de leur éducation.

En visitant la prolifique œuvre poétique de Imam Mouhamadou Sakhir Gaye nous avons eu plusieurs réponses nous permettant de dresser le profil spirituel et intellectuel de Seydina Babacar Lahi. Ainsi à la question de savoir qui est Seydina Babacar, l’imam répondait dans le célèbre « marsiya » composé en son honneur :

Mbindééf la mu Yàlla amaloon ngir ga aajoy

Mbindééf yi ku jaaxle waa ba jubal fa raw na

Pour dire que Seydina Babacar fut un saint accompli dont la seule mission était d’apporter la solution aux gens de son époque. Et c’est pourquoi quelle que soit la nature ou la complexité d’un problème les gens venaient de partout auprès de lui. Et nul ne le quittait sans voir son vœu exaucé ou son problème complètement résolu à la faveur des prières de Seydina Babacar.

Ba looloo tax turëm wa demoon ba Kodiwaar

Ba jàlla Gineeki Gànnaar fépp siiw na

Cela avait fini par lui trainer une haute notoriété dans ce pays d’abord, mais aussi au-delà dans la sous-région africaine notamment en Côte d’ivoire, en Guinée Conakry comme portugaise et en Mauritanie qui, à l’époque, concentrait un grand nombre de pôles et d’érudits pluridisciplinaires.

Mais d’où lui venaient donc ces dons surhumains qui fondaient sa célébrité ?

À cette question El Hadji Mouhamadou Sakhir déclarait :

Nanguk ñaan ak fajuk aajoo ki feebar

Donoom ci Limaamu Laay la te loolu sax na

La rapidité d’exécution de ses prières, signe d’une proximité immédiate avec le Seigneur Tout-Puissant, et ses dons de guérisseur lui venaient de son vénéré père Seydina Limamou Lahi (asws), la « Source de la Miséricorde d’Allah ».

Pour conclure son propos – sachant que parler de Seydina Babacar n’était pas chose aisée dans la mesure où plusieurs jours, plusieurs feuilles, plusieurs plumes n’auraient pas suffi hélas pour une tâche aussi ardue – « Al Yeumbeulî » se contentait enfin :

Waxal neel gééj la woon gu di fuur ci xamxam

Ci « saayir » ak ci « baatin » loolu wér na

« Il fut un océan bouillonnant de savoir ; rempli de savoir exotérique comme ésotérique. »

Poursuivant toujours pour étayer son propos, le grand érudit de Yeumbeul cita quelques-uns des domaines du savoir pluridisciplinaire de Seydina Babacar :

« Fiq » aaki « luxaak, nëhwuk taarix, haruud » ak

« Bayaan, siira » ak, « adiis, tafsiir Xuraanaa »

Pour dire que cette vaste étendue de savoir couvrait les domaines de la jurisprudence islamique (fiq), les lettres arabes (luxa), la grammaire arabe (nëhwu), la chronique (taarix), la poésie arabe (haruud ak bayaan), l’histoire islamique (siira), la science du hadith (adiis) et l’exégèse du Coran (tafsiir). Cela avait fini par lui coller le sobriquet de « Bâboul Ouloûm » ou la « Porte des Savoirs ».

À la question, maintenant, de savoir d’où lui venait tout ce savoir, El Hadji Sakhir répondait que c’est :

Limaamul Mahdiyoo ko soloon ci baatin

Ci gééji « hikam » la duy ba ndabam feňngat na

C’est son père le saint-maître Seydina Limamou Al Mahdi (asws) qui le lui avait inspiré après avoir puisé dans l’océan de sagesse [qui tire sa source de la Table bien-gardée (Lawhoul Mahfûz)].

L’histoire populaire soutient que c’est au cours d’un événement exceptionnel que son père (asws) lui « transféra » ce savoir. L’imam ratib de Yeumbeul poétisait à ce propos :

Ca leetar yooya Baay Laay jàngaloo woon

Sëriñ Mbay Caw kerook la ko sol ba raw na

Cette histoire mérite d’être mieux développée. En effet, après que des dignitaires lettrés parmi les Lébous de Yoff ont adressé une lettre rédigée en arabe à Seydina Limamou Lahi (asws), il avait demandé à un de ses disciples du nom de Djibril Gaye d’appeler son frère Abdou Gaye pour la lui lire. La raison qui explique cette décision du saint-maître était simple. Quand le saint-maître (asws) a lancé son appel, le tafsir Djibril Gaye, un grand érudit de l’époque est venu lui faire allégeance après avoir vu les signes. Alors ses proches qui ne pouvaient concevoir qu’un érudit d’une telle dimension pût suivre un illettré dépêchèrent son frère pour le convaincre de rentrer avec lui au village. Cependant quand Tafsir Abdou Gaye arriva chez le saint-maître (asws) pour voir son frère, il cacha bien son dessein. Seydina Limamou Lahi (asws) qui n’ignorait pas sa volonté cachée demanda qu’on le mît dans les meilleures conditions. Aussi, plus tard quand la lettre arriva, il demanda à Tafsir Abdou de la lui lire. Mais il ne put malgré ses nombreuses tentatives. Il semblait qu’il avait oublié tout son savoir. Ce fait était d’ailleurs récurrent à l’époque de Seydina Limamou (asws). Tous les grands érudits qui étaient venus l’éprouver sont devenus de parfaits ignorants rien qu’en sa présence. C’est ce que le poète Libasse Niang rappelait dans ces vers :

Ku nekk fooreyë boo nuyoo

Sa mbooti xol mu ràññe ko

Kerook mu jam la doo feyyoo

Ba loo xamoon nga fàtte ko

Quand Seydina Limamou (asws) constata que le tafsir peinait à lire la lettre, il demanda qu’on allât chercher son jeune fils Ababacar Lahi qui devait avoir environ 7 ans. Les fidèles pensant qu’il avait oublié que son jeune fils n’avait pas encore fréquenté aucun « daara » le lui rappelèrent. Mais le saint-maître insistait en donnant l’ordre à son fils de lire la lettre.

Dans son célèbre poème intitulé « Gem woolu leen Imama naa », Imam Mouhamadou Sakhir rapportait :

Baay Seydina Mbaya nga naa Limaamu man kat jaaxlenaa

Ndax mosu ma firi xanaa Allaahu mooy « Faatihunaa »

Pour dire que Seydina Babacar inquiet, répondit alors : je n’ai jamais lu/déchiffré une lettre, [peut-être] avec la grâce d’Allah, celui qui donne l’ouverture au savoir, [le pourrai-je].

Mais son père n’abandonnait toujours pas :

Imaamu Laahi ne ko yaw ndax man nga wax baat yi ca kaw

Mu naa ko waaw tey wax ca kaw Njiin di firi lii yéému na

Il lui demanda alors s’il pouvait lire à haute voix, et cette fois-ci comme un inspiré, Seydina Babacar pu lire la lettre à haute voix et son vénéré père (asws), qui était pourtant illettré car n’ayant fréquenté, lui non plus, aucun « daara » de son vivant, la traduisait en wolof en même temps devant une assistance toute ébahie. Ce miracle finit par convaincre le Cheikh tafsir Abdou Gaye de la véracité de la mission de Seydina Limamou Lahi (asws) et il s’agenouilla devant lui pour prêter serment d’allégeance. Il devint même plus tard le secrétaire particulier du saint-maitre (asws).

Plus tard, Seydina Limamou (asws) lui fit lire encore d’autres lettres qu’on lui adressa. La singularité de la situation fut que cette fois-ci le jeune Babacar Lahi put lire la lettre et la traduire à son père devant une assemblée encore plus stupéfaite. L’on rapporte même que cette fois-ci Seydina Ababacar put y déceler quelques fautes de grammaire et d’orthographe et y apporta une correction suivant les règles de la langue arabe. C’est ce que rapporte Imam Sakhir toujours dans le poème « Gem woolu leen Imama naa » :

Limaamu jàngal ko yeneen Leetar ba am bés ndaw leneen

Ñëew ëndi ab leetar ca Njiin fekk mbooloo ma daje naa

Njiin jox ko leetar ba te naa ko jàngal lépp Séydina

Mbay jànga leetar ba ba naa defaraat fii déy jaadu na

Son père interrogea alors les érudits autour de lui :

Njiin ne aalim ya ndax xam ngeen kii fu mu jànge ga ña naan

Mosu nu koo yëk Njiin ne leen tey ngeen ko xam « fii xawlinaa »

Il questionna cette fois-ci son fils comme rapporté toujours dans le marsiya :

Ba Baay Laay naa ka Mbay kula laaj sa meetar

Ci xamxam neel Limaamu sangub jamaana

« Si on te questionne sur l’identité du maître qui t’a insufflé le savoir réponds que c’est Seydina Limamou (asws) le Maître de cette époque [1883 au Jour du Jugement] »

Il ajouta :

Ku lay laaj meetarub Baay Laay waxal neel

Xanaa Buur Yàlla Rabbul aalamina

« Si maintenant on te demande qui est enseigné à ton père tout ce savoir, réponds que ce n’est nul autre que Allah le Seigneur des Univers. »

Imam Sakhir ajoutait toujours dans « Gem woolu leen Imama naa » :

Imaamu laahi mi mosul dal baa ak siina ko jàngal

Njiin kay kaka jàngal dadul nit waaye jànga naa

« [Si] C’est Seydina Limamou Lahi qui n’a jamais appris les lettres « baa, siin » (comprenez qui n’a jamais fréquenté aucun daara) qui l’a instruit ; c’est juste que celui qui a instruit Ndjine (un des surnoms du saint-maitre) n’est pas une créature, mais il a bien été formé [par Allah].

Toutefois, Allah avait décrété que toute âme goûterait inévitablement à la mort.

C’est pourquoi :

Ci at mudi « wafsasin » ci gàdaayuk Yonnen

La Baay Mbay fekki Baay Laay illa yiina

Autrement dit, c’est en l’an codifié « wafasachin » (وَفَسَشٍ) ou 1386 de l’hégire (sommes des poids mystiques des lettres arabes : 6+80+300+1000) et qui correspond à 1966 que Seydina Babacar rejoignit Seydina Limamou Lahi (asws).

Ajoutant plus de précision Imam Sakhir disait :

Ci weer wudi maamu koor « kahnu » ca weer wa

Ca altiné loolu mooy « taarix » ba wér na

Pourtant quelques jours auparavant, Seydina Babacar Lahi avait annoncé à son entourage, notamment à sa chère sœur Sokhna Oumy Thiaw Lahi, sa disparition en des termes voilés. Il les informait qu’à l’avenir toute personne qui souhaiterait bénéficier de son savoir et/ou de ses prières aille trouver  » Seydi Thiaw fils de Seydina Mandione ». Cela témoigna à suffisance de sa proximité et des relations privilégiées qu’il entretenait avec son neveu Baye Seydi Thiaw Lahi fils de son frère aîné Seydina Mandione Lahi, qu’il avait adopté comme son fils spirituel. Les anciens de cette famille rapportent qu’à la disparition de Seydina Babacar, Baye Seydi Thiaw tellement effondré par une telle perte effectua plusieurs va-et-vient entre la chambre de celui-ci et celle du Khalif, son père Seydina Mandione Lahi. Plus tard, quand il accéda au califat du Mahdi en tant que 3e Khalif des Ahloulahi, Baye Seydi Thiaw Lahi prit Seydi Mouhamadou Bachir Lahi (l’aîné des fils vivants de Seydina Babacar) sous son aile. Il avait d’ailleurs fini par faire de Serigne Basse un de ses compagnons au même titre que ses autres frères Seydina Mame Alassane Lahi, Seydina El Hadji Abdoulaye Thiaw Lahi, etc. malgré une différence d’âge de plus de 40 ans qui le séparait de lui. Il le nomma même Imam de la grande mosquée Layène de Yoff à l’âge de 26 ans ; nombre qui correspond à la durée de la mission de leur grand-père Seydina Limamou Lahi (asws). Quand on lui demanda pourquoi il préférait partager la compagnie du jeune Imam Bachir en dépit du grand écart d’âge qui les séparait, Baye Seydi Thiaw Lahi répondait dans sa haute sagesse d’une autre dimension : «Yenn yenay guis Bachirou, waayé mann sama Baay Baabacar laay guis ».

Adina yaa di ab workat nde koon kay

Nga àndak Baabakar mu jariñ jamaana

Yalna sounou Borom yokka leeri Seydina Babacar Lahi.

 

Par Chérif Alassane Lahi Diop,

Sibt Sâhibou Zamâne,

Secrétaire général de Vision 129

 

Écrit par: soodaan3

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