CHRONIQUES

TRIBUNE DU VENDREDI N°121 : Aux origines de la ziarra de Nguédiaga

today28 juillet 2023 81

Arrière-plan
share close

AUX ORIGINES DE LA ZIARRA DE NGUÉDIAGA

En septembre 1887, quelques trois ans seulement après que le saint-maitre des Ahloulahi a lancé son Appel, les hostilités avec les colons français ont démarré à la suite d’une dénonciation calomnieuse de quelques autorités coutumières lébous dont les plus déterminés étaient D.F. D et M. C. D.

En se basant sur les seuls propos de ces deux-là et sans mener une enquête sérieuse et approfondie, les colons missionnèrent un commandant avec un détachement d’une dizaine de spahis armés jusqu’aux dents, pour procéder à l’arrestation de Seydina Limamou Lahi (asws) le 7 septembre 1887. Cet évènement eut lieu au troisième jour du mois de Ramadan de cette année-là (1304H). Ils étaient conduits à Yoff par les deux dignitaires précités qui n’étaient motivés que par une rancune tenace envers la famille de Seydina Limamou Lahi (asws). Cette rancune avait pour fondement 2 points : la Bataille de Pikine au cours de laquelle un combattant de l’armée yoffoise qui se trouve être un ancêtre du saint-maitre avait tué le leur, et l’intérêt qu’ils manifestaient pour le poste de Serin Ndakaaru occupé par Dial Diop proche et oncle paternel de Seydina Limamou Lahi (asws).

Ce fut à l’heure de la prière de zohr (tisbâr en wolof) que le détachement de soldats coloniaux arriva à Yoff. Ils voulurent le surprendre à son lieu de recueillement au bord de la plage à l’actuel site de Diamalaye où il aimait souvent s’isoler pour méditer. Mais ils ne l’y trouvèrent pas. Ils décidèrent alors d’aller le cueillir directement chez lui. Sur leur chemin ils rencontrèrent les disciples du saint-maitre rassemblés dans la mosquée entrain de chanter en chœur la formule de l’unicité divine comme c’est le cas, suivant la doctrine Ahloulahi, avant d’effectuer chacune des prières quotidiennes. Quelques jours auparavant, le saint-maitre avait posé à ses disciples la question de savoir comment se comporteraient-ils si quelqu’un venait pour s’attaquer à lui. Et la réponse donnée à l’unanimité par ces fervents disciples était qu’il devrait passer d’abord sur leurs corps avant. Très touché par cette manifestation d’amour, Seydina Limamou Lahi (asws) salua leur loyauté et leur fidélité. Il leur demanda, quand même, de ne point lever le plus petit doigt pour le défendre si une telle situation venait à se présenter ; mais de le laisser plutôt entre les mains de son Seigneur. « Tawakkaltu anlal lâhi ! Lâ khawla walâ quwwata ilâ bil Lâhil Anliyil Anzim » disait-il.

Tout juste avant l’arrivée des persécuteurs, il avait pris le soin d’envoyer tous ses fidèles à la mosquée. C’était en effet, pour qu’ils ne soient pas présents au moment de l’attaque et pour éviter un bain de sang. Il préféra donc affronter seul ses puissants persécuteurs. Quel courage !

C’est pourquoi, quand ils arrivèrent dans la demeure du saint-maitre, ils le trouvèrent tout seul sans aucun homme à ses côtés ni aucune arme pour le défendre, sinon sa foi et sa confiance en Allah. Le commandant, armé d’un sabre et d’un pistolet, déclencha les hostilités en coupant la palissade de la maison et en tentant de bruler la case du saint-maitre. Seydina Limamou y posa sa main et le feu s’éteignit automatiquement par la volonté d’Allah. Puis il déclara à son agresseur « S’il plait à Dieu, cette case ne brûlera jamais ! ». Ce que le Commandant et ses hommes trouvèrent hilarant. Comme pour montrer au saint-homme que rien ne pouvait empêcher la case de bruler, ils allumèrent encore le feu sur la même case et Seydina Limamou y posa encore sa main de plus belle, le feu s’éteignit. Ils recommencèrent encore une troisième fois, mais Seydina Limamou faisait encore échouer leur plan de bruler sa case. Pris de colère, le commandant dégaina alors son pistolet. Seydina Limamou lui indiqua son oreille et lui proposa : « Tire ici. C’est plus rapide pour tuer quelqu’un ». Le commandant s’exécuta en tirant à plusieurs reprises mais aucune balle ne sortit de son pistolet. Et pourtant quand il le dirigeait vers le ciel et tirait ensuite on pouvait entendre le bruit de la balle qui en sortait. Seydina Limamou lui proposa de tirer, cette fois-ci dans son ventre mais cela ne marcha pas non plus. Le commandant jeta son pistolet par terre et prit alors ses menottes pour l’arrêter. Le saint-maitre lui tendit ses mains. Mais quand il ferma les menottes, Seydina Limamou Lahi prononça « Lâ illâha illâ Allah » et les menottes tombèrent par terre.

Après plusieurs autres tentatives toutes vaines, le commandant se rua violemment sur Seydina Limamou Lahi en tentant de le faire tomber ; mais celui-ci le souleva d’un seul coup, sans grand effort, le terrassa par terre et posa son pied sur la tête du commandant qui cria de toutes ses forces. Quand, le saint-maitre, l’homme le plus pacifique que ce monde ait connu, leva son pied, l’infortuné commandant se releva brusquement et courut ventre à terre pour rejoindre son cheval. Il battit en retraite et quitta Yoff tout rouge de honte avec des cris de douleurs. Il fut suivi par dans sa fuite par ses subalternes, témoins impuissants de tout ce qui venait d’arriver, et qui ne purent que prendre leurs jambes à leurs cous. Une fois devant ses supérieurs, le Commandant leur révéla que Seydina Limamou était extraordinaire, n’était pas un homme ordinaire, qu’il n’avait pas encore vu son pareil et que tout ce qui avait été dit sur lui était vrai.

Constatant que Seydina Limamou à lui seul était venu à bout du commandant et de son détachement non négligeable de 10 hommes armés, les autorités françaises devinrent très inquiètes. Ils prirent la décision de lever une armée contre lui. Ils en informèrent le Seriñ Ndakaaru de l’époque du nom de Dial Diop 2 et communément appelé Dialy Beukeu qui était aussi le Chef du Canton de Ndakaaru. Il les informa que Limamou était son neveu et les pria de lui laisser le temps de jouer la médiation entre eux et lui. Accompagné d’une forte délégation de dignitaires de la communauté lébou, Dial Diop est venu rencontrer son neveu, le saint-maitre pour tenter de le réconcilier avec l’autorité coloniale. Ils lui demandèrent de leur dire ce qu’il voulait pour qu’ils le lui donnassent de suite. Que ce soit des propriétés en tous genres, de l’argent, des titres (Jarâf, Ndey J Reew, Serin Ndakaaru, etc.), bref tout. La seule requête qu’ils lui firent en retour était qu’il mît fin, en quelque sorte, à sa mission, en libérant ses disciples et les laisser retourner auprès de leurs siens respectifs afin de se réconcilier avec les colons français.

Après les avoir écouté, Seydina Limamou Lahi (asws) résuma toutes leurs propositions sous forme de questions pour que toute l’assistance comprît plus clairement et en fût témoin : « Votre volonté est donc que j’interdise à ces affamés de la grâce divine (tanni Yàlla yi en wolof), de profiter pleinement de la Grâce du Seigneur [lui Seydina Limamou]? » Il ajouta encore : « Vous voulez donc que je renvoie d’ici ces âmes et rester tout seul ? Vous voulez que je retourne à mes anciennes activités en vous accompagnant à la pêche et dans les champs ? ». Ils lui répondirent que s’ils pouvaient avoir cela de lui, ils en seraient plus que ravis. Là, le saint-maitre leur donna sa réponse très clairement : « Non je ne renverrai aucun d’eux. Par sa Grandeur éternelle, Allah m’a élevé au-dessus de vous et au-dessus de toutes les créatures. Par ma taille, je vous dépasse en hauteur et aussi en profondeur vers le bas. Limamou est Limamou de Yoff. Je ne bouge pas d’ici et personne ne peut rien contre moi. C’est Dieu qui m’a implanté ici afin que je lance un appel parmi les hommes et les djinns, et aucune créature ne peut empêcher cela ».

C’est ce jour-là, qu’il désigna son futur successeur. En effet, après avoir prononcé la dernière phrase que nous venons de citer, Seydina Limamou Lahi (asws) avait soudain pris son fils ainé Seydina Issa Rohoulahi pour le poser sur son épaule et annoncer ceci : « Au cas où Allah déciderait que je mourrai sans achever ma mission, c’est ce jeune [en désignant son fils âgé d’à peine 9 ans] qui la mènerait à bout ». C’était une façon pour leur montrer que nul ne pouvait freiner la mission que lui avait confiée Allah. Mais comment pouvait-il savoir que ce fils ne mourrait pas avant lui ? Cela constitue donc une autre prédiction du saint-maitre, un défi même. Ce jour-là, il reçut la visite l’archange Djibril (as) qui lui communiqua un message de la part du Seigneur qui lui intima l’ordre de quitter Yoff sans délai pour s’exiler dans un endroit à l’est de Dakar.

Après avoir dirigé la prière du Maghreb, Seydina Limamou Lahi (asws) prépara psychologiquement ses fidèles en ce sens : « L’exil a été ordonné aux envoyés par le Seigneur à un moment ou à un autre au cours de leur mission. » Il leur annonça avoir reçu l’ordre de s’exiler loin de Yoff pour éviter tout affrontement entre ses fidèles et les forces coloniales pouvant mener à un massacre. Aussi, leur demanda-t-il de se disperser provisoirement jusqu’à nouvel ordre.

À ses braves épouses il leur demanda de retourner provisoirement auprès des siens respectifs.

Cette nuit-là, nuit du 10 au 11 septembre, il quitta Yoff accompagné de quelques fidèles : Thierno Sarr Thiom, Abdoulaye Samb, Aly Mbaay et Demba Mbaay longèrent la côte yoffoise vers l’est. Ils arrivèrent au site actuel du village de Cambérène puis à Ndingala (cf. Tribune du Vendredi n°119 : Ndingala, la Terre sainte des Ahloulahi).

Après plusieurs heures de marche, Seydina Limamou et sa suite arrivèrent enfin à Malika. Il effectua sur le site une prière de deux rakkâ’ comme il l’avait déjà fait sur plusieurs sites tout au long de son voyage vers Malika. À la fin de sa prière, une pintade de couleur blanche le trouva sur place et mit son bec dans l’oreille du saint-maitre comme pour y glisser quelques mots. Par la suite la pintade marcha devant le groupe vers le nord. Elle les mena jusqu’au lieu appelé Nguédiaga, au pied d’une dune au sommet de laquelle se trouve un grand buisson touffu. Le saint-maitre voulut continuer mais ne le put. Il interrogea alors ses compagnons d’exil : « Vous arrive-t-il la même chose qu’à moi ? Je sens qu’il y a une sorte d’entrave qui bloque mes pieds ». Ils lui répondirent par la négative. Il les informa ensuite qu’Allah avait bloqué ses pieds et qu’il ne pouvait plus faire un pas de plus. Il dut ramper alors pour rejoindre le sommeil de cette dune.

Au moment d’entrer dans le buisson il formula une invocation et informa ses compagnons que c’était la même prière que lui avait enseignée l’ange Djibril quand il entrait dans le Mont Hira avec Seydina Ababacar au cours de l’hégire dans sa première mission en Arabie. Quelques heures avant la rupture du jeûne quelqu’un l’interrogea pour savoir avec quoi ils interrompraient leur privation rituelle. Et le saint-maitre lui avait répondu ceci : « avec la même chose que avec laquelle j’avais rompu mon jeûne autrefois au cours de ma première mission en Arabie (du lait) ».

Or, peu de temps avant l’heure de la rupture un couple de bergers du nom de Sam Penda et Ciré Tall sont venus les trouver, guidés par on ne sut quoi, pour leur apporter du lait. Seydina Limamou et ses compagnons restèrent pendant trois jours dans ce buisson. La nuit où il avait quitté Yoff pour s’exiler, les colons ont mené une percutante expédition militaire à Yoff. Mais ils ratèrent Seydina Limamou Lahi (asws) qui, quelques heures auparavant, avait quitté le village sur recommandation du Seigneur. Les spahis restèrent à Yoff toute la journée du 11 et ce n’est que le lundi 12 qu’ils quittèrent le village après avoir lâchement incendié les concessions de Seydina Limamou et celles de ses disciples. Ils prévinrent les populations que si Seydina Limamou Lahi n’était pas retrouvé dans les plus brefs délais, ils continueront à bruler toutes les concessions voire tous les villages environnants en guise de représailles.

Alors, les habitants des 7 villages lébous (Dakar, Ngor, Yoff, Ouakam, Mbao, Thiaroye et Rufisque) unirent leurs forces autour d’une battue à la recherche de leur fils Seydina Limamou Lahi afin de le livrer à l’oppresseur français. Les recherches durèrent trois jours sans que l’ombre même du saint-maitre des Ahloulahi ne soit aperçue. Au cours de cette période de trois jours, Seydina Limamou (asws) reçut encore la visite de l’ange Djibril porteur d’un autre message à travers lequel Allah l’informait sur la dimension et le rang de celui parmi ses fils dont le prénom était Amar (Seydina Mandione, en l’occurence) tout en lui demandant de le faire venir auprès de lui à Nguédiaga pour alléger ses peines. Allah lui fit savoir que ce fils béni est en lui-même un gage de paix car partout où il se trouve, il n’y aura aucun conflit et dans tout cimetière où il pose ses pieds tous les morts qui s’y trouvent gagneront le pardon divin y compris ceux qui étaient condamnés aux supplices. À l’époque Seydina Amar Mandione Lahi avait à peine 4 ans. Son père envoya quelqu’un pour le récupérer à Yoff Ndeungagne auprès de son épouse Sokhna Seynabou Diène à qui il était confié. Sokhna Seynabou Diène, accompagnée de Ali Yakha et de Tafsir Abdoulaye Diallo allèrent trouver Seydina Limamou Lahi (asws) à Nguédiaga. Ils rencontrèrent les foules de lébou qui étaient à la recherche du saint-maitre. L’un d’entre eux les reconnut et les suivit discrètement en se disant que ces gens-là (les proches du saint-maitre) les mèneraient au coup sûr au lieu où il s’était retranché. Mais à un certain moment ils les avaient soudain perdus de vue. Quand Seydina Limamou posa ses yeux sur son jeune fils, il en fut très heureux. À souligner que pendant ces trois jours, il avait été témoin, depuis le buisson où il se trouvait, des nombreux va et vient effectués par ses parents qui le recherchaient. Gagné par l’empathie envers ce peuple, il se montra à eux et se livra volontairement par pitié. En effet, pendant ces trois jours aucun habitant des 7 villages n’avait pu fermer l’œil encore moins prendre le temps de manger ou se reposer.

Plus tard sous le califat de Seydina Mandione (2e Khalif), son neveu Seydina El Hadji Abdoulaye Thiaw Lahi qui fut le porte-parole de la communauté à l’époque, avait recueilli son autorisation pour initier un pèlerinage annuel sur ce lieu sacré de Nguédiaga, terre d’exil du saint-maitre. Depuis lors, chaque année, au lendemain de la fête musulmane de Tamkharite, les fidèles Ahloulahi investissent les lieux l’espace d’une journée pour y effectuer des actes de dévotion, une séance de zikroullah suivie d’une causerie religieuse. Baye Seydi Thiaw Lahi (3ème Khalif) a été le premier Khalif en exercice à honorer de sa présence le pèlerinage de Nguédiaga. À l’époque, aller à Nguédiaga relevait du parcours du combattant dans la mesure où il n’y avait encore aucune route bitumée pour atteindre le site. On devait quitter les véhicules à quelques kilomètres du site pour continuer à pied dans la bande des filaos. Et le Khalif, ses frères et les autres dignitaires de la communauté faisaient partie de ces pèlerins devant marcher autant de kilomètres.

Plus tard son successeur Seydina Mame Alassane Lahi (4ème Khalif) a perpétué la tradition en tenant compagnie à l’initiateur de ce pèlerinage, son jeune frère Serigne Ablaye qui animait, à l’occasion, la causerie en retraçant les différentes péripéties de l’exil du saint-maitre. Aujourd’hui, le site est devenu plus accessible avec l’érection d’une route bitumée qui le relie au réseau routier de Malika. Grâce aux nombreux efforts de la famille de Serigne Ablaye résidant à Malika, notamment Seydina Mandione Thiaw Lahi, feu Chérif Seny Thiaw, Serigne Mamour, Serigne Magoum Keur et leurs frères et sœurs, le pèlerinage de Nguédiaga a progressivement gagné en envergure. Avec le temps, ils avaient réussi à mettre en place, en collaboration avec les autorités administratives, un Comité Départemental de Développement (CDD) pour mieux préparer l’événement. Aujourd’hui, un organe plus grand encore est mis en place avec le Comité Régional de Développement (CRD) en prélude à l’édition 2023 de ce pèlerinage pour lister les besoins et les améliorations à effectuer.

En ce jour marquant le pèlerinage de Nguédiaga nous nous souvenons de Chérif Sény Thiaw ibn Serigne Ablaye qui prenait toujours le temps de venir à Yoff, à chaque édition, pour conduire ses oncles Chérif Mouhamadou Lamine Lahi à la cérémonie officielle à Malika. Il fut un homme bon doté de qualités exceptionnelles et très respectueux de ses « kilifas ». Puisse Allah l’accueillir au Paradis.

Par Chérif Alassane Lahi Diop “Sibt Sâhibou Zamâne”,
Analyste politique et économique,
Expert en Commerce et Management des Affaires Internationales,
Secrétaire Général de Vision 129.

Écrit par: soodaan3

Rate it

Commentaires d’articles (0)

Laisser une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués d'un * sont obligatoires


0%
Restez informé des nouvelles publications en activant les notifications...! OK Non